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seul pour le confondre et pour le rendre indigne de tout pardon, puisqu’il trahissait un maître qu’il savait lui-même être si bon et si doux. Mais pourquoi donnait-il ce signal aux Juifs ? Parce qu’il avait souvent vu que Jésus – Christ était passé sans être reconnu au milieu de ceux qui venaient pour le prendre. Ce qui néanmoins serait encore arrivé cette fois, s’il n’eut voulu se laisser prendre. C’est pour faire comprendre ceci à Judas, qu’il frappa d’aveuglement tous ces hommes. « Qui cherchez-vous » ? leur demanda-t-il ; ils ne le connaissaient pas, et cependant ils avaient des lanternes et des flambeaux, et Judas avec eux. Lorsqu’ils eurent répondu « Jésus », il leur dit : « Je suis celui que vous cherchez ». Mais il dit à Judas : « Mon ami, qu’Êtes-vous venu faire ici (50) ? » Après qu’il a fait voir quelle était sa force et sa puissance, il permet alors qu’on le prenne. Mais saint Luc marque que jusqu’au moment même où Judas commettait une action si noire, Jésus-Christ ne cessait point de l’avertir : « Judas », lui dit-il, « vous trahissez le Fils de l’homme par un baiser » ? Et vous ne rougissez point de vous servir de ce signal pour accomplir votre perfidie ? Cependant ce reproche si modéré ne peut retenir ce cœur de pierre. Il le baise, et Jésus-Christ de son côté souffre ce baiser parricide, pour s’abandonner lui-même entre les mains des pécheurs.
« En même temps ils s’avancèrent, ils mirent la main sur Jésus, et se saisirent de lui (50) ». Ils le prirent la nuit même où ils avaient mangé la Pâque, tant ils étaient bouillants d’impatience et de fureur. Toute cette rage néanmoins eût été inutile et sans aucun effet, si Jésus-Christ n’eût permis qu’elle agît sur sa personne : mais cette condescendance du Sauveur n’excuse point la perfidie de Judas. Elle l’augmente au contraire et la redouble, puisque ce traître, ayant tant de preuves de la bonté de son maître, ne laissait pas de le traiter avec une dureté si inhumaine.
Que cet exemple, mes frères, nous inspire de l’horreur pour l’avarice, puisqu’elle inspire cette fureur à Judas, et qu’elle rend cruelles et impitoyables toutes les âmes qu’elle possède. Si l’avare n’épargne pas sa propre vie, comment pourrait-il épargner celle des autres ? On le voit tous les jours, cette passion est si furieuse, qu’elle va même au-delà de cette rage que l’amour brutal inspire aux âmes dont il se rend maître. Rougissons, mes frères, lorsque nous voyons que tant de gens renoncent aux plaisirs infâmes plutôt par le mouvement de leur avarice, que par l’amour de Jésus-Christ, et par le désir d’être chastes.
Je ne cesserai jamais de parler contre ce vice. Car enfin dans quel dessein amassez-vous tant de richesses ? Pourquoi voulez-vous ainsi appesantir votre fardeau ? Pourquoi voulez-vous vous rétrécir vos liens, et vous resserrer vos chaînes ? Pourquoi voulez-vous vous accabler de nouveaux soins ? Croyez si vous voulez que l’or de toutes les mines du monde, et que tout l’argent qui est dans le sein de la terre est à vous. Regardez tout ce qu’il y a dans les trésors publics comme s’il vous appartenait ; si tout cela était à vous, qu’en auriez-vous autre chose que l’inquiétude de le garder ? Si vous craignez de telle sorte de toucher à ce que vous possédez déjà ; si vous le conservez aussi religieusement que s’il appartenait à des étrangers, combien seriez-vous plus avare si vous étiez encore plus riche ? Car plus un avare a de bien, plus il le ménage.
Mais je sais, me direz-vous, que je suis riche, et que tous ces biens sont à moi. Vous ne cherchez donc les richesses que pour satisfaire votre esprit, et non pour en user ? Les hommes, me direz-vous, m’en honorent davantage, et j’en suis plus craint. Dites plutôt que vous en êtes plus en butte aux riches et aux pauvres, aux voleurs et aux calomniateurs. Voulez-vous véritablement qu’on vous craigne, et qu’on tremble devant vous ? Retranchez d’abord tout ce qui peut donner prise aux hommes sur vous, et dont ceux qui s’efforcent de vous nuire peuvent se servir pour vous faire tort.
3. N’avez-vous jamais entendu ce proverbe : Que cent hommes ensemble ne peuvent dépouiller un seul homme nu ? Sa pauvreté est comme un rempart qui le défend contre toutes leurs violences ; et il n’y a point de roi, ni d’empereur qui le puisse vaincre. Tout le monde, au contraire, peut aisément nuire à l’avare, et non seulement les hommes, mais les vers. Que dis-je, les vers ? le temps seul lui enlève ses trésors, et les consume par la rouille. Après cela, où est le plaisir et le repos d’esprit qu’on trouve dans les richesses ? Pour moi, je vous avoue que je n’y vois que des sujets d’affliction et de misère, des soins, des divisions,