Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 8, 1865.djvu/467

Cette page n’a pas encore été corrigée

En quoi les apôtres ont-ils fait paraître leur charité ? Ne voyez-vous pas que Pierre et Jean ne se séparent jamais lorsqu’ils vont au temple ? Ne voyez-vous pas quelle affection Paul avait pour ses frères ? et vous doutez encore ? Si les apôtres ont été ornés des autres vertus, ils ont possédé, à plus forte raison, celle qui est la source de tous les biens ; car la charité croît dans l’âme qui est douée de la vertu, elle sèche et périt dans celle où règne l’iniquité. « Lorsque l’iniquité sera très-grande », dit Jésus-Christ, « la charité de plusieurs se refroidira ». (Mt. 24,12) Sûrement les gentils ne sont pas autant gagnés par les miracles que de la vie que nous menons, et rien ne perfectionne la vie comme la charité. Ils ont souvent appelé fourbes ceux qui faisaient (les miracles ; mais ils n’ont pas de prise sur une vie pure et sainte. Avant que la prédication de l’Évangile eût fait de si grands progrès, on avait raison d’admirer les miracles, mais maintenant c’est la vie qui nous doit rendre admirables. Rien ne touche et ne persuade tant les gentils que la vertu ; rien aussi ne leur est un plus grand sujet de scandale que la méchanceté, et cela se conçoit.
Lorsqu’un gentil voit qu’un avare, qu’un ravisseur du bien d’autrui prêche les vertus contraires à ces vices et enseigne ce qu’il ne pratique point lui-même, lorsqu’il voit que celui à qui la loi commande d’aimer ses ennemis se déchaîne contre ses concitoyens comme une bête féroce, il traite nos préceptes de contes et de sottises. Quand il voit qu’aux approches de la mort un chrétien est saisi de crainte et d’effroi, comment recevra-t-il le dogme de l’immortalité ? Quand il verra parmi nous des hommes ambitieux ou possédés d’autres vices et d’autres passions, il demeurera plus ferme dans son sentiment et n’aura que du mépris pour notre religion, car c’est nous, mes frères, c’est nous qui sommes la cause qu’ils persistent dans leur erreur. Depuis longtemps ils n’ont que du mépris pour leurs dogmes et une égale admiration pour les nôtres ; fiais aujourd’hui notre vie et nos mœurs les écartent et les font fuir. En effet, il est aisé de philosopher en paroles, et plusieurs parmi eux ont philosophé de la sorte ; mais ils demandent quelque chose de plus, ils demandent la pratique. Qu’on leur dise : Rappelez-vous nos anciens, ils ne nous écoutent point, ils ne veulent point remonter si haut, ils nous regardent, nous, et ils examinent ce que nous sommes présentement ; montrez-nous, disent-ils, montrez-nous votre foi par vos œuvres[1]. Et c’est ce que nous ne saurions faire. Au contraire, ils nous voient nous acharner contre notre prochain, et le traiter plus cruellement que ne font les bêtes féroces, et ils nous appellent le fléau du monde.
Voilà ce qu’allèguent les gentils pour se défendre d’entrer parmi nous. Aussi nous en porterons la peine, nous serons punis non seulement d’avoir fait le mal, mais aussi d’être cause que le saint nom de Dieu est blasphémé. Jusques à quand serons-nous passionnés pour les richesses, pour les délices ? jusques à quand serons-nous livrés aux autres passions ? Mettons fin à ces désordres, il est temps. Écoutez ce que le prophète dit de quelques insensés. « Mangeons et buvons, car nous mourrons demain ». (Is. 22,13) Véritablement nous ne pouvons pas dire cela de ceux qui vivent aujourd’hui, puisque quelques-uns dévorent eux seuls les biens de tous les autres, comme le leur reproche le même prophète, en disant « Serez-vous donc les seuls qui habiterez sur la terre ? » (Id. 5,8) C’est pourquoi je crains qu’il ne vous arrive quelque grand malheur, et que nous ne nous attirions les plus terribles vengeances du Seigneur. Dieu veuille nous en préserver ! détournons-les donc en nous exerçant à toutes sortes de vertus, pour acquérir les biens futurs, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles ! Ainsi soit-il.

  1. La foi qui n’a point les œuvres, dit saint Jacques, est morte en elle-même. On pourra donc dire à celui-là : vous avez la foi, et moi j’ai les œuvres : montrez-moi votre foi, qui est sans œuvres, et moi je vous montrerai ma foi par mes œuvres. (Ch. 2,17, 18)