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sont une visible démonstration de leur incrédulité : je ne te verrai plus, je ne te retrouverai plus. Tout n’est que fables et illusions parmi les chrétiens. Que si la résurrection, qui est le fondement et le gage de tous les biens qu’ils espèrent, n’obtient nulle créance parmi eux, à bien plus forte raison ne croiront-ils point à leurs autres dogmes ?
Non, les gentils ne sont pas si faibles, ni si lâches : plusieurs d’entre eux ont donné des preuves de sagesse. Une femme païenne, apprenant que son fils était mort au combat, fit aussitôt cette demande : En quel état est notre patrie, où en sont nos affaires ? Un de leurs philosophes, qui avait sur la tête une couronne de fleurs, reçoit la nouvelle qu’un de ses fils était mort pour la patrie ; alors il ôte sa couronne, il demande lequel (car il en avait deux) ; l’ayant appris, il la remet sur-le-champ. Beaucoup de païens ont donné leurs fils et leurs filles pour être offerts en sacrifices à leurs dieux. Les femmes de Sparte exhortaient ainsi leurs enfants : Ou rapportez vos boucliers du combat, ou qu’on vous rapporte morts sur vos boucliers. Certes, j’ai honte de voir les gentils philosopher si bien et montrer tant de sagesse, tandis que nous nous conduisons si honteusement. Ceux qui n’ont aucune idée de la résurrection, se conduisent comme s’ils en avaient une vraie connaissance ; et nous qui en sommes parfaitement instruits, nous vivons comme si nous n’en avions point entendu parler. Plusieurs font, par respect humain, ce qu’ils ne feraient pas pour Dieu même. Car les femmes qui sont au-dessus des autres par leurs richesses, n’arrachent point leurs cheveux, elles ne découvrent pas leurs bras, et en cela même elles sont très-blâmables, non de ne pas découvrir leurs bras, mais de ne le faire que par crainte de se déshonorer et non par esprit de piété. Le respect humain les retient, les empêche de se livrer à leur affliction, et la crainte de Dieu n’est point capable d’arrêter leurs larmes et de réprimer leurs douleurs ? Une pareille conduite n’est-elle pas des plus condamnables ?
Il faudrait donc que ce que font les femmes riches, parce qu’elles sont riches, les femmes pauvres le fissent de même par la crainte de Dieu. Aujourd’hui tout est renversé, on fait tout le contraire de ce qu’on devrait : celles-là sont retenues par vaine gloire ; celles-ci par faiblesse manquent à la pudeur. Fatale absurdité ! Nous faisons tout pour les hommes, tout pour la terre, mais ce n’est rien encore : on tient des discours ridicules, insensés. A la vérité, le Seigneur dit : « Bienheureux ceux qui pleurent » (Mt. 5,5), mais il parle de ceux qui pleurent leurs péchés, et la douleur du péché ne fait pleurer personne ; nul ne se met en peine de la perte de son âme. Il ne nous est pas commandé de pleurer ceux qui sont morts, et nous les pleurons.
Quoi donc ! direz-vous, il ne sera pas permis de pleurer la mort d’un homme ? Ce n’est point là ce que je défends : je blâme ces coups, ces meurtrissures, ces pleurs excessifs et immodérés. Je ne suis ni dur ni inhumain ; je sais la faiblesse de la nature, et les regrets que laisse après elle une longue intimité. Nous ne saurions nous empêcher de pleurer ; Jésus-Christ lui-même l’a fait voir, il a pleuré Lazare. Faites de même ; pleurez, mais doucement, mais modestement, mais avec la crainte de Dieu. Si vous pleurez de cette sorte, vous ne pleurez pas comme ne croyant point à la résurrection, mais comme ne pouvant supporter la séparation.
5. En effet, ceux qui vont faire un long voyage, nous les accompagnons de nos larmes, mais nous ne pleurons pas comme si nous désespérions de les revoir. Vous de même répandez des larmes sur ce mort, comme si vous l’envoyiez faire un voyage devant vous[1]. Ce n’est point un commandement que je vous fais, je ne parle ainsi que pour m’accommoder à votre faiblesse. Si celui qui est mort était un pécheur, s’il a souvent offensé Dieu, sûrement il faut le pleurer, ou plutôt nous ne devons pas seulement pleurer sur lui, ce qui ne lui sert de rien, mais nous devons faire ce qui lui peut être utile et le secourir : par exemple, des aumônes, des oblations, et encore se féliciter de ce qu’il n’aura plus l’occasion de pécher ; mais si c’était un juste, il faut s’en réjouir, parce qu’il est arrivé au port ; qu’il n’a plus rien à craindre, ni nul risque à courir. S’il est jeune, il faut encore se réjouir de le voir si promptement délivré des maux et des calamités de cette vie ; s’il est vieux, c’est pour nous un sujet de joie et de consolation, qu’il ait si longtemps joui de ce qu’on regarde comme un bien très-désirable[2]. Mais pour

  1. Ceux qui meurent, dit Grégoire de Nazianze, ne font que prendre les devants. (Orat. 19)
  2. C-à-d de cette vie présente.