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circonstances ? Ainsi, il a voulu prouver invinciblement sa mort, non seulement par sa passion et par ses souffrances, mais encore par la conduite de ses disciples, par les mystères, enfin par tous les moyens, afin de ruiner entièrement l’hérésie de Marcion. C’est aussi pour cela qu’il a permis que le chef même de ses disciples le renonçât. Car si Jésus-Christ n’a pas été véritablement pris, s’il n’a pas été lié et crucifié, pourquoi saint Pierre et les autres apôtres on-ils été si saisis de crainte ? Cependant il ne les abandonne pas dans ce trouble, et il leur dit : « Mais après que je serai ressuscité, j’irai devant vous en Galilée (32) ».
Il ne voulut pas leur paraître comme descendant tout à coup du ciel, ni s’en aller dans un pays fort éloigné ; mais il voulut se faire voir à eux dans le lieu même où ils étaient avant sa mort, et se montrer dans l’endroit presque où on l’avait crucifié, afin de nous mieux assurer par cette circonstance que celui qui ressuscitait était le même qui venait d’être crucifié. C’est donc par cette promesse qu’il tâche d’apaiser leur douleur. Il dit qu’il irait devant eux « en Galilée », afin qu’étant délivrés de cette grande crainte des Juifs qui les saisissait, ils pussent écouter ses paroles avec un esprit plus calme, et les croire avec une foi plus ferme. C’est le véritable sujet pourquoi il-choisit ce pays de Galilée.
« Pierre lui répondit : Quand tous les autres seraient scandalisés en vous, moi je ne le serais jamais (33) ». Que dites-vous apôtre ? Le prophète dit : « Que les brebis du troupeau seraient dispersées ». Jésus – Christ confirme lui-même ce que le prophète a dit ; et cependant vous assurez le contraire ? Ne vous suffit-il pas que votre maître vous ait fait ces sévères réprimandes, lorsque vous lui disiez : « Seigneur, ayez pitié de vous : Cela ne sera point » ? Mais Dieu permet ceci, afin que ce disciple, tombant ensuite, apprit à obéir en tout à son maître, et à croire plutôt la vérité de ses paroles, que le témoignage de sa propre conscience. Mais les autres retirèrent aussi un grand avantage de ce triple renoncement de saint Pierre, en y voyant un si grand exemple de l’infirmité humaine, et une si grande preuve de la vérité de Dieu. Quand Dieu a une fois prédit qu’une chose arrivera, il ne faut plus penser à la combattre par de vaines subtilités, ni à lui résister par des efforts superflus ; il ne faut point non plus, en s’élevant contre les autres, se préférer à eux ; « car, dit saint Paul, c’est en vous-mêmes et non dans les autres que vous trouverez votre gloire ». (Gal. 6)
Au lieu de dire humblement à Jésus-Christ : Seigneur, soutenez-nous par votre force toute-puissante, afin que rien ne puisse nous faire tomber dans le scandale, Pierre s’élève au contraire, et dit dans un esprit de présomption : « Quand tous les autres seraient scandalisés en vous, moi je ne le serais jamais ». Ces paroles témoignaient une présomption que Jésus-Christ voulut rabaisser en permettant le renoncement. Puisque Pierre ne se laissait persuader ni par la parole de son maître, ni par celle du prophète que le Sauveur avait même cité à dessein pour que l’apôtre n’osât y contredire, Jésus-Christ, voyant que les paroles n’étaient pas assez fortes pour instruire son disciple, l’instruit par les choses mêmes.
Et pour montrer que ce n’était que pour ce sujet, et pour abattre son orgueil, qu’il permit ce renoncement, voyez ce qu’il lui dit : « J’ai prié pour vous, afin que vous ne perdiez pas la foi » : ce qu’il lui dit pour le toucher davantage, en lui faisant voir que sa faute serait plus grande que celle de tous les autres disciples, et qu’il avait besoin d’un plus grand secours, et d’une prière toute particulière pour en obtenir le pardon. Car il avait commis un double crime dans ces paroles si hardies ; le premier de résister à la parole expresse de son maître ; et le second de se préférer aux autres disciples : et j’en ajouterais même un troisième, par lequel il s’attribuait tout comme venant de lui-même et de ses seules forces. Jésus-Christ voulant donc remédier à tant de plaies le laissa tomber, et c’est pour ce sujet que, sans parler aux autres, il s’adresse à lui en disant : « Simon, Simon, Satan vous a demandé afin de vous cribler comme on crible le blé », c’est-à-dire, « afin de vous tenter, de vous troubler, de vous effrayer ; mais moi j’ai prié pour toi, afin que tu ne perdes point la foi ».
Pourquoi, si le démon a demandé permission de tenter tous les disciples, Jésus-Christ ne dit-il pas qu’il a prié son Père pour eux tous ? Il est évident, comme je l’ai déjà dit, qu’il voulait le toucher plus vivement par des paroles si sensibles, et qu’il lui parlait cri particulier, pour lui faire reconnaître que sa faute était plus grande que celle de tous les autres.