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et non dans les villes, et que tous les peuples fussent en repos étant à couvert de leur tyrannie. Mais voilà précisément ce qui les rend plus insupportables que les possédés ; ils font dans les villes même ce que les autres ne font que dans les déserts, et ils les pillent avec autant d’assurance que s’ils étaient dans une profonde solitude, emportant tout sans que personne les en empêche. Il est vrai qu’ils ne frappent pas à coups de pierres ceux qu’ils rencontrent, mais n’est-il pas plus aisé de se défendre des pierres que des chicanes et des artifices détestables, dont ces riches cruels oppriment les pauvres ?
4. Voyons maintenant le mal que les avares se font à eux-mêmes. N’est-il pas vrai de dire qu’ils marchent nus dans la ville, puisqu’ils n’ont pas le vêtement de la vertu ? S’ils ne rougissent pas de cette nudité infâme, n’est-ce pas une preuve visible de leur folie ? Ils rougiraient de la nudité du corps, et ils se glorifient de celle de l’âme, bien loin d’en rougir. Voulez-vous savoir la cause de cette impudence ? C’est qu’ayant une infinité de compagnons de leur avarice et de leur nudité, ils rougissent aussi peu l’un de l’autre que ceux qui se baignent ensemble. S’il y avait moins d’avarice et plus de vertu parmi les hommes, on verrait mieux combien cette passion est infâme. Mais ce qu’on ne peut assez déplorer en nos jours, c’est qu’on ne rougit plus du vice, parce que les méchants sont en très-grand nombre. C’est là l’artifice du démon, et une des plus grandes plaies dont il frappe les pécheurs. Il leur ôte donc le sentiment de leur péché, parce qu’il l’a tellement multiplié dans le monde, qu’il en a effacé toute la honte. Si un avare se trouvait seul au milieu d’une troupe de vrais chrétiens, il ne pourrait se souffrir lui-même. Il tremblerait en considérant sa laideur, parce qu’il la connaîtrait mieux en se comparant aux autres.
Je crois donc vous avoir assez fait voir que les avares sont en effet dans une nudité plus honteuse que les possédés. Personne ne peut nier non plus qu’ils ne passent toute leur vie comme dans les déserts et dans les lieux les plus retirés. La voie large et spacieuse où ils marchent est pire que ces solitudes affreuses. Quoiqu’elle soit fort peuplée et que l’on s’y presse, ce ne sont pas néanmoins des hommes qui y marchent Elle n’est pleine que de serpents, que de scorpions, que de loups, que de vipères et de toutes sortes de bêtes semblables. Ainsi, la voie dans laquelle les avares marchent, n’est pas seulement un désert. Elle est pire que les déserts. Elle est pleine de pierres et d’épines, et elle déchire plus les âmes que toutes les pointes de roches ne percent les corps.
Les avares demeurent aussi dans les sépulcres comme les possédés, ou plutôt ils sont des sépulcres eux-mêmes. Car qu’est-ce qu’un sépulcre, sinon une pierre qui renferme un corps mort ? Les avares sont bien des sépulcres d’un antre manière. Ce ne sont point des pierres qui renferment des corps morts. Ce sont des corps et des cœurs plus durs que la pierre qui enferment des âmes mortes. C’est Jésus-Christ même qui appelle ainsi les Juifs à cause de leur avarice. Ce sont, dit-il, des sépulcres blanchis au-dehors, qui « sont au dedans pleins de rapine et d’avarice ».
Voulez-vous maintenant que nous vous montrions encore comment les avares imitent encore les possédés, en se frappant ta tête à coups de pierres ? Par où voulez-vous que nous commencions ? Par les choses présentes ou par celles qui ne sont pas encore ? Comme les avares font moins d’état de l’avenir que de ce qu’ils voient devant eux, commençons par le présent. Car je vous prie, mes frères, de me dire s’il y a des pierres aussi pesantes que le sont les soins dont les avares chargent non leur tête mais leur âme. Lorsqu’ils craignent que la justice des lois ne les chasse d’une maison qui leur plaît, et qu’ils ont usurpé très injustement, de combien d’inquiétudes sont-ils agités alors ? de quelle frayeur sont-ils saisis ? de quelle colère sont-ils transportés ? Quelles tempêtes la fureur et la rage n’excitent-elles point dans leur cœur ? Ils fulminent aujourd’hui contre leurs domestiques, demain contre les étrangers. Tantôt la tristesse, tantôt la crainte, tantôt la colère les emporte. Ils vont de précipice en précipice. Ils sont toujours dans l’agitation, et leur âme n’a point de repos.
L’empressement qu’ils ont d’acquérir ce qu’ils ne possèdent pas encore, fait qu’ils estiment comme rien ce qu’ils ont déjà. Ils tremblent d’un côté dans l’appréhension de perdre ce qu’ils ont amassé ; et ils travaillent de l’autre pour se faire de nouvelles acquisitions, c’est-à-dire de nouveaux sujets de crainte. Ce sont des malades altérés qui se gorgent d’eau,