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allait établir ses mystères et détruire, par sa mort, la tyrannie de la mort. C’est dans cette pensée qu’il dit qu’il avait désiré avec ardeur de manger cette Pâque. Tant il est vrai qu’il allait volontairement à la croix !
Mais rien ne put adoucir cette bête cruelle, ni la fléchir, ni la détourner ; Jésus-Christ déplore donc le sort de ce misérable : « Malheur à cet homme ». Il l’épouvante en ajoutant « Il aurait mieux valu pour cet homme qu’il ne fût jamais venu au monde ». Mais ces paroles n’ayant fait aucune impression sur son esprit, le bon Maître le désigne enfin en disant : « C’est celui à qui je présenterai un morceau trempé ». Cependant il demeure toujours dans sa dureté. Il est inflexible et pire qu’un furieux. Car que peut produire la fureur qui égale ce qu’il fait ? Il ne jette pas l’écume par la bouche, mais il parle pour trahir son maître. Il n’a point de convulsions dans les bras et les mains, mais il les étend pour vendre ce sang précieux, et pour en recevoir le prix. Ainsi sa fureur n’a point d’égale.
Il ne disait point d’extravagance, dites-vous : Mais quelle extravagance fut jamais pareille à celle-ci : « Que voulez-vous me donner, et je vous promets de vous le livrer » ? Est-ce un homme qui parle, et n’est-ce pas plutôt un démon ? Mais il ne s’agitait point comme font les insensés. Hélas ! il vaut bien mieux faire ce que fait un homme qui a perdu l’esprit, que de paraître sage et d’être un Judas. Il ne se meurtrissait pas, dites-vous, avec des pierres, comme font les furieux. Plût à Dieu qu’il l’eût fait, et qu’il eût été plutôt possédé par la frénésie que par l’avarice.
Voulez-vous, mes frères, que nous vous représentions ici un homme possédé du démon et un avare, et que nous les comparions ensemble ? Je vous prie de ne point croire que je dise ceci pour blesser personne. Ce n’est point la nature que j’accuse, c’est le crime seul. Que fait un homme que le démon possède ? Nous le voyons dans l’Évangile. Il ne porte point d’habits, il se frappe cruellement avec des pierres, il va par des précipices et par des rochers, enfin partout où le pousse celui qui l’agite. Il est vrai que cet état est horrible. Mais si je vous prouve qu’un avare traite plus cruellement son âme qu’un possédé ne traite son corps, et que tous les excès des possédés ne paraissent qu’un jeu, en comparaison de ce que font les avares ; me promettez-vous alors de renoncer pour jamais à l’avarice ? Car n’est-il pas vrai que l’infamie des avares est pire que la nudité des possédés, et qu’il vaut bien mieux n’avoir point d’habits que de se vêtir superbement de ce qu’on a volé aux autres ? Ceux qui sont ainsi vêtus, je les regarde comme des bacchants qui s’affublent de masques et se travestissent pour paraître en public comme des fous. C’est la même frénésie qui habille les avares et qui met à nu les possédés.
Les uns et les autres sont dignes de compassion, et les avares encore plus. Car enfin lequel des deux est le plus furieux et le plus dangereux dans sa fureur, de celui qui ne se fait du mal qu’à lui-même, ou de celui qui en fait aussi à ceux qu’il rencontre ? N’est-il pas visible que c’est ce dernier ? Les possédés se contentent de se tourmenter eux-mêmes, et les avares tourmentent tous ceux qu’ils peuvent.
Vous me direz que les possédés déchirent quelquefois les habits de ceux qu’ils rencontrent. Mais combien souhaiteraient ceux qui sont ruinés par les avares, qu’ils leur déchirassent plutôt leurs habits que de leur ravir leurs biens ? Les avares, dites-vous, ne frappent personne au visage comme font les furieux ? Quoi donc ! ne voyez-vous point paraître sur le visage de ceux qu’ils oppriment, les marques de leur cruauté ? N’y voyez-vous point cet abattement et cette pâleur qui le couvre ? Et cette pauvreté extrême dans laquelle ils les réduisent, ne leur cause-t-elle pas une douleur qui pénètre jusque dans le fond des entrailles ?
Mais on ne voit, dites-vous, les avares déchirer personne avec les dents. Plût à Dieu qu’ils n’eussent que des dents pour mordre et pour déchirer. Ils ont des flèches qui percent jusques au vif : « Leurs dents », dit David, « sont des dards et des flèches ». (Ps. 57,6) Je vous demande lequel des deux souffre davantage, ou celui qui après avoir été mordu d’un homme court aussitôt aux remèdes et qui se guérit, on celui qui est toujours déchiré par la pauvreté qui le tourmente sans relâche ? Car la pauvreté forcée et involontaire n’est-elle pas plus cruelle que les bêtes les plus farouches, et plus ardente qu’une fournaise ?
Les avares, me direz-vous, ne cherchent pas l’obscurité et la solitude des déserts comme font les possédés. Plût à Dieu, mes frères, qu’ils n’exerçassent leurs violences que dans les déserts