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de rendre ainsi grâces à Dieu, afin de vous apprendre que ce n’est pas par nécessité qu’il le fait, car s’il avait eu besoin de le faire, il l’aurait plutôt fait dans les grandes œuvres qu’il a opérées. Mais celui qui les a produites avec cette suprême autorité, on ne peut douter que, dans les autres, il n’agisse ainsi par condescendance.
3. De plus, ici était présente une grande foule de peuple à qui il fallait persuader qu’il était envoyé de Dieu. Voilà pourquoi, lorsque Jésus-Christ opère quelque miracle en particulier, il ne fait point d’action de grâces ; mais s’il le produit en présence de plusieurs, il en fait pour ôter le soupçon qu’il était ennemi de Dieu et contraire au Père. « Et il distribua les pains et les poissons à ceux qui étaient assis, et ils furent rassasiés (11) ». Remarquez la différence qu’il y a entre le serviteur et le maître : les serviteurs, recevant la grâce avec mesure, faisaient aussi leurs miracles ; mais Dieu, agissant avec un pouvoir absolu, opère toutes choses avec un luxe de puissance.
« Il dit à ses disciples : Amassez les morceaux qui sont restés. Ils les ramassèrent et « remplirent douze paniers (12 et 13) ». Jésus-Christ ne fit pas amasser les morceaux par affectation et par vanité, mais afin qu’on ne regardât pas le miracle comme une illusion et un prestige, et c’est aussi pour cela qu’il crée de nouveau, en se servant de la matière qu’il à sous sa main. Pourquoi Jésus-Christ a-t-il fait distribuer le pain par ses disciples, et non par le peuple ? Parce que ce sont principalement eux qu’il voulait instruire, eux qui devaient être les docteurs de tout le monde. Le peuple ne devait pas encore tirer un grand fruit des miracles ; en effet, ils oublièrent aussitôt celui-ci, et ils en demandèrent un autre. Mais les disciples en devaient beaucoup profiter, et aussi ce ne fut point là un faible sujet de condamnation pour Judas, qui avait porté un panier comme les autres. Or, que, ce soit pour leur instruction que Jésus-Christ ait fait cela, l’allusion qu’il y fit ensuite le montre clairement ; car il leur dit : « Ne vous souvient-il point encore du nombre des paniers que vous avez emportés ? » (Mt. 16,9) Et c’est aussi pour la même raison que le nombre des paniers fut égal à celui des disciples. Mais dans le second miracle, comme ils étaient déjà instruits, il ne resta que sept corbeilles. Pour moi, dans ce miracle, je n’admire pas seulement la multiplication des pains, mais, avec cette quantité de morceaux, j’admire ce juste nombre de paniers, et le soin qu’eut Jésus-Christ qu’il n’en restât ni plus ni moins, mais précisément ce qu’il voulut, prévoyant la consommation qui serait faite, signe visible d’une puissance ineffable. Ces morceaux confirmèrent donc le miracle, en prouvant, et qu’il n’y avait point là de prestige ni d’illusion, et que le repas avait laissé des restes. Le miracle des poissons, Jésus-Christ le fit alors des poissons mêmes qu’on lui avait présentés ; mais après sa résurrection, il n’employa plus de matière. Pourquoi ? pour nous apprendre que s’il s’était servi dans cette occasion d’une chose déjà créée, ce n’était pas qu’il eût besoin de matière ni d’éléments, mais que c’était uniquement pour fermer la bouche aux hérétiques[1].
« Le peuple disait : C’est là vraiment le prophète (14) ». O prodige de la gourmandise ! Jésus-Christ avait fait une infinité de miracles plus admirables que ceux-ci, et ils n’ont reconnu et confessé qu’il était le prophète[2], qu’après qu’ils eurent été rassasiés. Mais notre récit prouve évidemment qu’ils étaient dans l’attente de quelque grand et excellent prophète. En effet, les uns disaient : « N’êtes-vous pas le prophète ? » les autres : « Il est le prophète. Mais Jésus sachant qu’ils devaient venir l’enlever pour le faire roi, s’enfuit encore sur la montagne (15) ». Ah ! qu’il est grand le tyrannique empire de la gourmandise ! Quelle légèreté d’esprit1 ils ne vengent plus la loi, ils ne se mettent plus en peine de la violation du sabbat. Ils ne sont plus emportés du zèle de l’amour de Dieu ; leur ventre est plein, ils ont tout oublié ; le voilà maintenant, leur prophète, et ils vont le couronner roi : mais Jésus-Christ s’enfuit. Pourquoi ? Pour nous apprendre à mépriser les dignités, et nous faire connaître qu’il n’a nul besoin des choses terrestres : Celui qui, venant au monde, a cherché la simplicité en tout, dans le choix d’une mère, d’une maison, d’une patrie, dans son éducation, dans ses habits, ne devait pas se rendre illustré par les choses de la terre : il était grand et illustre par les choses qu’il a, apportées du ciel, par les anges, par l’étoile,

  1. « Hérétiques ». Les marcionites, les manichéens et leurs sectateurs
  2. « Le Prophète ». C’est-à-dire le prophète attendu, prédit, annoncé par Moïse. (Deut. 18,15)