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dans le plat. Mais, pour moi, je crois que Jésus-Christ ménagea cette rencontre pour faire plus d’impression dans l’esprit de ce disciple, par cette action qui témoignait plus d’amitié et de familiarité, et qui était plus capable de le toucher.
2. Ne passons point légèrement de si grandes choses : arrêtons-nous à les considérer, afin de les graver plus profondément dans notre cœur. Une fois qu’elles y seront bien établies, elles n’y laisseront plus entrer la colère. Car si nous nous représentons bien cette dernière cène, où Judas est assis à la même table que tous les apôtres, où Jésus-Christ qui voyait la trahison dans le cœur de ce disciple, le traite avec une bonté et une charité incompréhensible, pourrons-nous nous abandonner aux mouvements de notre aigreur, et nourrir dans notre âme le poison de la colère ? Et considérez, je vous prie, la douceur avec laquelle le Fils de Dieu parle : « Pour ce qui est du Fils de l’homme, il s’en va selon ce qui a été écrit de lui ». Il veut soutenir ses apôtres par ces paroles, en les empêchant de croire que ce fût par faiblesse ou par impuissance qu’il allait mourir, et il tâche même de changer le cœur de celui qui le trahissait.
« Mais malheur », ajoute-t-il, « à l’homme par qui le Fils de l’homme sera trahi : il vaudrait mieux pour lui qu’il ne fût pas né ». Ces paroles font bien voir encore l’ineffable douceur de Jésus-Christ. Car elles ne renferment pas le reproche et l’invective, mais elles sont l’expression d’un sentiment de compassion, expression toujours contenue, adoucie et voilée. Mais ce qui me surprend le plus, c’est que le Fils de Dieu conserve cette douceur, lors même que Judas, ajoutant l’impudence à la perfidie, eut la hardiesse de lui dire : « Seigneur, est-ce moi ? Judas qui le trahit, commença alors à lui dire : Seigneur, est-ce moi (25) » ? Qui peut comprendre cet aveuglement ? Il demande si c’est lui qui doit commettre un crime qu’il a déjà formé dans son cœur. L’Évangéliste ne rapporte cette parole qu’en s’étonnant de cette insolence. Cependant que répond à cela le Sauveur ? « Il lui répondit : Vous l’avez dit ». Il pouvait dire : Méchant, scélérat, traître, vous cachez ce dessein depuis tant de temps dans le fond de votre cœur ; vous avez fait un traité diabolique : vous m’avez vendu, et vous en allez recevoir le prix et lorsque je vous reproche votre crime, vous me répondez comme si vous étiez le plus innocent de tous les hommes. Il ne lui parle point de cette manière, il lui dit simplement : « Vous l’avez dit ». C’est ainsi qu’il nous apprend à oublier les injures et à conserver une patience qui n’ait point de bornes.
Mais, direz-vous, puisqu’il était écrit que le Christ devait souffrir ces choses, pourquoi accuser Judas ? Il n’a fait qu’accomplir ce qui était écrit. – Je réponds que nous l’accusons très-justement de son crime, puisque ce n’est point dans cette disposition qu’il a résolu de livrer son Maître, mais par sa méchanceté et par son avarice. Si l’on ne considérait pas l’intention de celui qui agit, on pourrait excuser le démon même, et l’absoudre comme innocent de tous les crimes qu’il commet. Mais il n’en faut pas juger de la sorte. Le démon comme Judas méritent des supplices infinis, quoique leur action si détestable ait été suivie du salut du monde. Ce n’est point la trahison de Judas qui nous a sauvés. C’est la toute-puissance de Jésus-Christ, qui, par un artifice admirable de sa sagesse, a usé si divinement d’un si grand désordre, et a fait servir un crime pour la rédemption de tous les coupables.
Quelqu’un me dira peut-être : Si donc Judas n’eût point trahi Jésus-Christ, un autre l’aurait-il trahi ? – Mais à quoi bon cette question ? – Puisqu’il fallait, dites-vous, que le Christ fût mis en croix, il était nécessaire qu’il le fût par quelqu’un ; s’il était nécessaire qu’il le fût par quelqu’un, il est évident qu’il le devait être par un homme quelconque. – Quoi donc ! si tout – le monde eût été juste, Jésus-Christ n’eût-il pu trouver le moyen de nous faire les grâces qu’il nous a faites ? Dieu nous garde de cette pensée. La sagesse infinie du Fils de Dieu n’aurait pas manqué d’autres moyens, si celui-là ne se fût trouvé dans le cours ordinaire du monde. Mais le Fils de Dieu nous empêche lui-même de regarder Judas comme un ministre de notre salut, lorsqu’il le plaint comme malheureux : « Malheur à l’homme par qui le Fils de l’homme sera trahi, il vaudrait mieux pour lui qu’il ne fût pas né ».
On me dira encore : S’il eût mieux valu pour Judas qu’il ne fût jamais venu au monde, pourquoi Dieu l’a-t-il fait naître, aussi bien que tous les méchants qui lui ressemblent ? Quoi ! lorsque vous devriez accuser les méchants de leur malice, et leur reprocher les