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que ce sont là les discours des lâches et des paresseux, répondez-moi : Supposons ici un roi et un général d’armée, et que, tandis que le roi est à boire, à s’enivrer, à dormir, le général se soit élevé des trophées par un grand travail, à qui attribuerons-nous la victoire ? Qui des deux recevra les éloges de cette belle action, qui en goûtera les fruits ? Ne le remarquez-vous pas, que le cœur s’attache davantage à ce qui a coûté plus de sueurs et, de peines ? Le Seigneur a mêlé des peines à la vertu, à laquelle il veut accoutumer l’âme. C’est pour cette raison que nous admirons la vertu, encore que nous ne la suivions pas ; et le vice, quoique très doux, nous le condamnons.
Que si vous dites : Pourquoi n’admirons-nous pas plutôt ceux qui sont naturellement bons que ceux qui le sont par leur volonté ? Parce qu’il est juste de préférer celui qui travaille à celui qui ne travaille point. Et pourquoi, dites-vous, travaillons-nous maintenant ? C’est que vous n’avez point su résister aux tentations du repos. De plus, si on l’examine de près, on trouvera que la paresse nous perd d’une autre manière, et nous cause bien des peines et du travail. Si vous le voulez, tenons un homme enfermé, nourrissons-le seul, engraissons-le, ne lui permettons pas de se promener, ni de rien faire ; mais faisons-le jouir des plaisirs de la table et du lit ; faisons-le nager dans, les délices sans interruption : y aurait-il une vie plus misérable ? Mais autre chose est d’agir, direz-vous, autre de travailler : et au commencement, sans 'travailler, l’homme pouvait agir. Le pouvait-il ? Sûrement, il le pouvait, et Dieu le voulait ainsi. Mais c’est vous qui avez troublé cet ordre, car. Dieu vous avait établi pour cultiver le paradis, il vous avait donné votre tâche ; mais saris y mêler le travail. Si au commencement l’homme avait travaillé, Dieu ne lui aurait pas, dans la suite, imposé cette peine : l’homme, de même que les anges, peut en même temps et agir et ne point travailler. En effet, que les anges agissent, le prophète vous l’apprend, écoutez-le : « Anges du Seigneur, qui êtes puissants et remplis de force, qui faites ce qu’il vous dit » (Ps. 102,20) : certes, maintenant la diminution des, forces rend l’activité pénible, Mais alors nous étions dans un état bien différent : « Car celui qui est entré dans son repos », dit l’Écriture, « s’est reposé de ses œuvres, comme Dieu s’est reposé après ses ouvrages ». (Héb. 4,4, 10) Par ce repos, l’Écriture n’entend pas l’inaction, mais l’absence de travail. En effet, encore maintenant. Dieu agit, comme dit Jésus-Christ : « Mon Père ne cesse point d’agir jusqu’à présent, et j’agis aussi incessamment ».
C’est pourquoi, je vous en conjure, mes frères, chassant toute paresse, suivons, embrassons la vertu. Le plaisir que procure le vice est court, mais la douleur qu’il cause est éternelle : au contraire, la joie que donne la vertu est immortelle, et le travail passager. La vertu, avant de distribuer ses couronnes à son disciple, le soulage et le nourrit par l’espérance : le vice, au contraire, avant même la condamnation au supplice, tourmente son sectateur, bourrelle sa conscience de remords, de craintes, de mille inquiétudes. Or, ces peines ne sont-elles pas pires que tous les travaux et toutes les sueurs ensemble ? Et quand même on pourrait s’en délivrer et ne sentir que la volupté seule, est-il rien de plus vil et de plus méprisable que cette volupté ? Elle paraît et disparaît aussitôt ; elle se flétrit ; avant qu’on la tienne, elle s’enfuit : vantez, exaltez tant qu’il vous plaira la volupté du corps, la volupté de la table, la volupté des richesses, chaque jour, à chaque instant elle s’use et se perd. Et comme à toutes ces choses doit s’ajouter le supplice et les tourments, est-il quelqu’un de plus malheureux et de plus misérable que celui qui recherche ces plaisirs ? Instruits de ces vérités, souffrons tout pour la vertu ; c’est ainsi que nous jouirons de la vraie volupté, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit la gloire, avec le Père et le Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.