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pendant trente-huit ans, sans obtenir la guérison qu’il désirait, il ne l’obtenait point, et toutefois il ne renonçait point, et s’il n’obtenait point cette grâce, ce n’était point faute de soin ou de bonne volonté : mais c’est parce que d’autres l’en empêchaient, et usaient de violence à son égard : cependant il ne s’est point découragé. Nous, au contraire, si nous persévérons dix jours à prier pour obtenir quelque grâce, et que nous ne l’obtenions pas, nous nous engourdissons, nous nous décourageons aussitôt, nous n’avons plus ni la même ardeur ni le même zèle. Nous qui passons tant d’années à capter la faveur d’un homme, qui ne craignons point, pour cela, d’aller à la guerre exposer notre vie, de passer nos jours dans l’affliction et dans la misère, de nous appliquer à des œuvres basses ; et serviles, et qui souvent à la fin sommes frustrés de nos belles espérances, nous n’avons ni la force, ni le courage de persévérer auprès de Notre-Seigneur avec tout le zèle et toute l’ardeur que nous devrions avoir ; quoique la récompense promise soit beaucoup plus grande que ne le sont les travaux eux-mêmes ; car « cette espérance », dit l’Écriture, « n’est point trompeuse ». (Rom. 5,5) Et de quel supplice ne nous rendons-nous pas dignes par une telle conduite ? En effet, n’eussions-nous rien à attendre, nulle récompense à recevoir, le bonheur de s’entretenir souvent avec Dieu n’en est-il pas une qui égale, qui surpasse tous les biens imaginables ?
Mais, direz-vous, la prière continuelle n’est-elle pas une chose pénible ? Et quoi ! dans l’exercice de la vertu tout n’est-il pas pénible ? Que la volupté accompagne le vice, et la peine la vertu, voilà, direz-vous encore, qui m’inspire mille doutes. C’est là de quoi, si je ne me trompe, plusieurs recherchent la cause. Quelle en est donc la cause ? En nous créant, Dieu nous a donné une vie exempte d’inquiétudes et de peines : nous avons abusé de ce don, et nous étant privés d’un si grand bien par notre lâcheté, nous avons perdu le paradis. Voilà pourquoi le Seigneur a rendu la vie de l’homme pénible et laborieuse, et on peut dire qu’il se justifie auprès du genre humain de cette manière : Au commencement je vous ai donné les délices, mais vous êtes devenus plus méchants par la bonté que j’ai eue pour vous ; voilà pourquoi je vous ai condamné à vivre dans le travail et dans les sueurs. (Gen. 3,19) Et comme ce travail ne vous empêchait pas de faire le mal, il vous a encore donné la loi, qui contient beaucoup de préceptes, comme on met un frein et des entraves à un cheval fougueux et indomptable qu’on ne peut manier ; car c’est ainsi qu’en usent les écuyers pour retenir et dresser les chevaux. Il nous est donc ordonné de mener une vie laborieuse ; parce que l’oisiveté a coutume de nous corrompre. En effet, notre nature ne peut soutenir une vie oisive, mais aisément elle tombe de l’inaction dans le vice. Supposons qu’un homme tempérant et vertueux n’ait pas besoin de travailler, et que tout lui arrive en dormant, cette vie aisée, à quoi aboutira-t-elle ? ne nous rendra-t-elle pas vains et insolents ?
Mais pourquoi, direz-vous, tant de plaisirs accompagnent-ils le vice, tant de peines et de sueurs suivent-elles la vertu ? Et quel mérite auriez-vous, à quelle récompense auriez-vous droit, si la vertu n’était pas pénible et laborieuse ? Que de gens je pourrais citer, qui naturellement haïssent les femmes et fuient leur commerce comme quelque chose de détestable ! dites, je vous prie, sont-ce là ceux que nous appellerons chastes, ou à qui nous donnerons des louanges et des couronnes ? Non sûrement ; car la chasteté est une continence, une victoire sur la volupté, remportée à la suite d’un combat. À la guerre, là où le combat est le plus animé, là sont aussi les plus glorieux trophées ; mais quand personne ne résiste, c’est tout le contraire. Il est bien des hommes qui sont par nature lâches et indolents : dirons-nous que ces sortes de gens sont doux ? Nullement : c’est pourquoi Jésus-Christ ayant distingué trois sortes d’eunuques, en laisse deux sans couronnes, sans récompenses, et fait entrer l’autre dans son royaume. (Mt. 19,12)
Mais, direz-vous, à quoi le vice est-il bon ? Et moi je dis : Qui en est l’artisan ? En est-il un autre que la paresse, qui part de la volonté ? Mais, direz-vous, il faudrait qu’il n’y eût que des gens de bien. Et qu’est-ce qui lui est propre, à l’homme de bien ? N’est-ce pas de veiller constamment sur soi-même, ou est-ce de dormir et de ronfler dans son lit ? Et pourquoi, direz-vous, n’a-t-il pas ainsi été établi dans la nature, que nous fissions tous le bien sans peine et sans travail ? paroles vraiment dignes des bêtes et de tous ceux qui font leur Dieu de leur ventre. Mais, afin que vous sachiez