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réponds que cela est venu de sa lâcheté. C’est cette paresse et cette négligence qui est le principe de tant de changements funestes que nous déplorons, comme c’est au contraire la ferveur, la vigilance qui change heureusement les hommes, et qui les rend bons de mauvais qu’ils étaient auparavant. Combien a-t-on vu de personnes furieuses et emportées devenir enfin douces comme des agneaux ? Combien en a-t-on vu d’impures devenir chastes ? Combien a-t-on vu d’avares renoncer tellement à l’avarice qu’elles ont donné même avec profusion de leurs propres biens ?
Mais aussi combien a-t-on vu de changements contraires par le relâchement de ceux qui se sont laissé corrompre ? Giezzi n’était-il pas avec un homme de Dieu qui était très-saint ? Cependant il se laissa surprendre par cette passion, et son avarice le changea et le rendit plus lépreux dans l’âme qu’il ne le devint dans le corps. On ne peut assez exprimer jusqu’où nous emporte cette fureur. Elle attaque les morts comme les vivants, et elle n’épargne pas même la sainteté des sépulcres. Elle excite les divisions et les querelles ; elle allume les guerres, et elle remplit le monde de meurtre et de sang.
Un avare est un homme inutile à tout. Il n’est propre ni à conduire des armées, ni à gouverner des peuples. Il ne peut rien faire utilement, ni dans les charges publiques, ni dans ses affaires particulières ; s’il veut choisir une femme, il ne se met pas en peine d’en chercher une qui soit réglée, qui soit sage et modeste. Il ne demande autre chose, sinon qu’elle soit riche. S’il a une maison à acheter, il n’en prend pas une qui soit propre à un homme honorable ; mais il choisit celle qui donnera le plus de revenus. S’il a besoin de serviteurs, il prend toujours ceux qui lui coûtent moins.
Pourquoi m’arrêtai-je à ces choses ? Quand il serait roi du monde, il deviendrait la ruine de tous les peuples, et après cela il demeurerait encore le plus pauvre et le plus misérable de tous les hommes. Car au lieu d’avoir des pensées de roi, et de croire que les richesses de tous ses sujets seraient les siennes, il n’aurait que des pensées des hommes du peuple il voudrait s’enrichir comme font les particuliers, et, après avoir ravi le bien de tout le monde, il croirait encore n’en avoir jamais assez.
4. C’est pourquoi le Sage a dit qu’il n’y a rien de plus injuste qu’un avare. Car l’avare est son ennemi à lui-même, et il est l’ennemi commun de tous les hommes. Il voit avec peine que la terre ne porte pas des épis d’or ; que l’or ne coule pas dans les rivières, et que les montagnes ne produisent pas des rochers d’or. Quand les saisons sont bonnes, il les croit mauvaises, et la prospérité publique fait son affliction particulière. Lorsqu’il se présente une occasion d’agir, qui ne lui doit rien valoir, il est tout de glace ; mais lorsqu’il y a deux oboles à gagner, il court et il vole, et il est infatigable dans le travail. Il hait tous les hommes, soit pauvres ou riches : les pauvres, de peur qu’ils ne lui demandent quelque chose de ce qu’il a, et les riches, parce qu’il ne possède pas tout ce qu’ils ont. Il croit que tout ce qui est aux autres devrait être à lui. Ainsi il hait tous les hommes, comme s’ils lui ravissaient tout ce qu’ils ont et ce qu’il n’a pas. Il amasse toujours, et il n’est jamais content. Il s’enrichit toujours, et il est toujours pauvre et misérable, comme celui qui aime Dieu et qui n’aime point l’argent est toujours heureux. Car rien n’est comparable au bonheur d’un homme juste, qu’il soit esclave ou qu’il soit libre. Il n’y a personne sur la terre qui lui puisse nuire. Quand tous les peuples s’armeraient contre lui, il demeurerait inaccessible et inviolable à tous leurs efforts. L’avare au contraire n’est jamais en sécurité. Quand il serait roi, quand il porterait cent couronnes, ce qu’il aime est toujours exposé aux insultes et à la violence du dernier des hommes. Tant il est vrai que la malice est toujours faible, et que la vertu est toute-puissante.
Pourquoi donc vous affligez-vous d’être pauvre ? Pourquoi faites-vous votre malheur de ce qui devrait vous être un sujet de joie ? Pourquoi vous laissez-vous abattre lorsque vous devriez vous réjouir comme dans une fête solennelle ? Car la pauvreté, lorsqu’on la ménage sagement, est véritablement comme un jour de fête. Pourquoi pleurez-vous comme de petits enfants, puisqu’on ne peut mieux appeler ceux qui s’affligent d’être pauvres ? Quelqu’un vous a-t-il maltraité ? En quoi consiste l’injure qu’il vous a faite, puisqu’il vous a donné moyen au contraire de vous rendre plus fort que vous n’étiez ? Vous a-t-il ravi votre bien ? Il a fait en cela la même chose que s’il vous avait déchargé d’un fardeau dont la pesanteur vous