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foi et l’action de cette femme dont nous parlons. Cependant ce n’était pas quelqu’un d’illustre. Elle n’eut pas alors beaucoup de témoins de ce qu’elle fit ; puisque cette action se passa dans une maison particulière, chez Simon le lépreux, où il n’y avait alors que les disciples. Qui a donc pu relever l’action de cette femme, et la faire entendre à tous les peuples et à tous les siècles, sinon la force et la toute-puissance de celui qui l’avait prédit ?
2. Nous voyons tous les jours que le peu de traces qui nous restent des actions éclatantes des héros et des empereurs des siècles passés s’évanouissent de jour en jour, qu’elles s’effacent de notre mémoire, et qu’elles s’ensevelissent dans le silence. Nous voyons que la plupart de ceux qui ont bâti des villes, qui ont publié des ordonnances et des lois, qui ont gagné de grandes victoires, qui se sont assujetti des peu-pies entiers, qui se sont fait dresser des trophées et des statues, et qui ont porté la terreur de leurs armes par toute la terre, sont tombés peu à peu dans l’oubli des hommes, et que, bien loin d’être maintenant en honneur, on ne connaît pas même presque leurs noms. On sait au contraire par toute la terre, et on le dit encore tous les jours après la révolution de tant de siècles, qu’une femme pécheresse est venue dans la maison d’un lépreux répandre, en présence de douze hommes, un parfum de grand prix sur la tête d’un autre homme. La mémoire de cette action ne s’est jamais effacée. Les Perses, les Indiens, les Scythes, les Thraces, la race des Maures, et les habitants des îles Britanniques ont appris et racontent partout ce que cette femme fait aujourd’hui en secret dans la maison d’un pharisien. O bonté ineffable du Sauveur, qui veut bien souffrir qu’une pécheresse lui baise les pieds, qu’elle les parfume et les essuie de ses cheveux ! qui non seulement le veut bien souffrir, mais qui fait taire même ceux qui la blâment, parce que son zèle ardent et son humble piété ne méritaient pas ces reproches.
On peut remarquer ici, mes frères, que les apôtres étaient déjà tendres envers les pauvres, et qu’ils étaient portés à faire l’aumône.
Mais pourquoi Jésus-Christ, au lieu de dire tout d’abord qu’elle avait fait une bonne action, dit-il auparavant ces paroles : « Pourquoi tourmentez-vous cette femme », sinon pour nous apprendre qu’il ne faut pas exiger d’abord des actions relevées des personnes faibles ? Il nie dit pas simplement : « Pourquoi la tourmentez-vous ? » mais il a soin de marquer que c’était « une femme ». Ce qu’il n’eût pas fait sans doute, s’il n’eût voulu nous montrer que c’était uniquement en faveur de cette femme qu’il parlait ainsi, et qu’il voulait empêcher que ses disciples n’étouffassent sa foi, lorsqu’elle commençait comme à germer, au lieu qu’ils devaient l’arroser plutôt et la faire croître. Jésus-Christ nous apprend donc ici une vérité très importante, savoir : que lorsque nous voyons une personne faire le bien encore imparfaitement, il nous défend de la blâmer. Il veut au contraire que nous l’aidions, que nous la favorisions, et que nous tâchions de la porter à un état plus parfait. Car il faut condescendre dans les commencements, et n’exiger pas toute chose à la rigueur.
Jésus-Christ nous a fait voir clairement par son exemple, combien il désirait de nous que nous fussions dans ce sentiment. Quoiqu’il mît sa gloire à pouvoir dire qu’il n’avait aucun lieu où il pût reposer sa tête, il voulut néanmoins user de condescendance jusqu’à commander à ses apôtres d’avoir une bourse pour y recevoir l’argent qu’on lui donnerait.
De plus, ce n’était pas alors le temps de blâmer l’action de cette femme, mais seulement de la louer. Si, avant cette action, quelqu’un lui eût demandé s’il consentirait que cette femme répandît ainsi ces parfums, il eût sans doute répondu que non, et il l’eût empêchée : mais dès lors que c’était une chose faite, Jésus-Christ ne pensa plus qu’à dissiper le trouble où le murmure des disciples aurait pu jeter cette femme. Il la renvoie pleine d’une consolation ineffable et d’une nouvelle ferveur dont cette action de piété l’avait remplie. Car ce n’était plus le temps de se plaindre de cette perte lorsque le parfum était déjà répandu.
C’est pourquoi je vous prie, mes frères, lorsque vous voyez quelqu’un fournir des vases précieux à l’Église, lui donner quelque belle tapisserie, ou la faire paver magnifiquement, n’improuvez pas cette action, et ne dites pas qu’il vaudrait mieux vendre ces ornements pour les donner aux pauvres, de peur de troubler l’esprit de celui qui fait ces offrandes. Mais si, avant que de faire ce présent à l’Église, il vous consulte s’il le fera, conseillez-lui alors de convertir plutôt cet argent en aumônes et d’en revêtir les temples vivants.