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celui qui vous a maltraités. Si vous ne vous réconciliez que parce que votre ennemi vous est venu demander pardon, et parce que Dieu vous le commande, ce n’est plus vous qui méritez le prix de la victoire ; vous le laissez remporter par celui que vous appelez votre ennemi.
Mais osez-vous bien dire que vous avez un ennemi, et le pouvez-vous dire sans rougir ? Ne vous suffit-il pas d’avoir le démon pour ennemi, faut-il que les hommes le soient encore ? Et plût à Dieu même que cet ange rebelle ne fût jamais devenu démon. Nous ne serions point ses ennemis, s’il ne nous avait déclaré une guerre si cruelle. Vous ne sauriez comprendre, mes frères, si vous ne l’éprouvez vous-mêmes, quelle douceur on ressent dans l’âme après une réconciliation si chrétienne. Mais quel moyen de l’éprouver, lorsque l’on a l’esprit plein d’aversion et de haine ? Ce n’est qu’après avoir étouffé les inimitiés que l’on reconnaît combien il est plus doux d’aimer son frère que de le haïr. Pourquoi imitons-nous ces furieux qui se déchirent avec les dents, et qui satisfont leur rage en se dévorant l’un l’autre ?
5. Souvenez-vous combien la Loi ancienne même s’opposait à ces désordres : « Toutes les voies », dit le Sage, « de ceux qui se souviennent des injures, tendent à la mort. L’homme conserve sa colère contre un autre homme, et il attend que Dieu le guérisse »? (Sir. 8,1 ss) – Mais Dieu, dites-vous, n’a-t-il pas fait lui-même cette ordonnance dans sa loi : « Œil pour œil, et dent pour dent » ? Comment donc après cette parole peut-il condamner ceux qui l’exécutent ? – Il faut bien remarquer, mes frères, que Dieu n’a pas fait cette loi pour permettre aux hommes de se traiter cruellement les uns les autres ; mais pour que la crainte de souffrir nous-mêmes nous empêchât de faire souffrir les autres. D’ailleurs cette colère dont il est parlé dans la loi, est une passion violente qui surprend l’âme par un mouvement prompt et impétueux ; au lieu que le souvenir des injures est la marque d’une âme noire qui se nourrit de la haine et de la vengeance.
Vous me direz peut-être que cet homme vous a maltraité. Et moi je vous dis qu’il ne peut vous avoir fait autant de mal que vous vous en faites à vous-même par ce ressentiment que Dieu vous défend. Je dis même qu’il n’est pas possible qu’un homme de bien souffre quelque mal. Car supposons d’un côté qu’un homme vive chrétiennement avec sa femme et ses enfants, qu’il soit riche, et par conséquent exposé aux accidents ordinaires de la vie, qu’il ait beaucoup d’amis et beaucoup de charges, qu’il soit élevé en honneur, et que néanmoins il ait sans comparaison plus d’attache pour pieu et pour sa Loi sainte que pour tous ces avantages extérieurs : supposons aussi de l’autre qu’un méchant homme se déclare son ennemi, et qu’il entreprenne de le perdre. En quoi lui nuira-t-il par tous ses efforts ? Il lui ôtera une partie de son bien. Il fera mourir ses enfants. Mais l’homme de bien sait qu’il les reverra après sa mort, et cette espérance l’occupe sans cesse. Peut-être même qu’on tuera sa femme ? Mais il est persuadé qu’on ne doit point pleurer ceux de qui la mort n’est qu’un sommeil. L’ennemi ne sera pas satisfait encore, il le déchirera par ses calomnies. Mais celui qui regarde tous les hommes, comme l’herbe qui naît et se sèche en même temps, ne s’arrête point à leurs paroles. Enfin, cet ennemi l’enfermera dans une prison, et il le fera beaucoup souffrir. Mais quelle impression pourra-t-il faire sur l’esprit de celui qui a appris de saint Paul que, quand même l’homme extérieur se corrompt, l’intérieur se renouvelle, et que l’affliction produit la patience ?
Il me semble que j’ai plus fait que je n’ai promis. Je voulais vous montrer que tous les maux ne peuvent nuire à un homme qui est tout à Dieu ; et il se trouve qu’ils lui servent, bien loin de lui nuire. Ne vous emportez donc plus à l’avenir contre les autres. Épargnez-vous en les épargnant et n’affaiblissez point en vous la vigueur de vos âmes et de votre foi. La douleur que vous ressentez, lorsqu’on vous fait tort en quelque chose, vient plutôt de votre propre faiblesse, que du pouvoir de celui qui vous offense. Si on vous dit une injure, vous en versez des larmes. Si on vous dérobe, vous en pleurez aussi. Nous sommes comme des petits enfants qui, se trouvant parmi leurs compagnons, pleurent pour la moindre chose qu’on leur fait. Si ceux qui sont les plus hardis les voient, si tendres à pleurer, ils les tourmentent encore davantage. Mais s’ils s’aperçoivent qu’ils ne font que rire de ce qu’on leur dit, ils les laissent en paix. Nous sommes encore plus faibles et plus insensés