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à ces bagatelles : voilà pourquoi il ne nous reste plus d’appétit pour les aliments spirituels. Entre autres signes de maladie, c’en est un bien grand de ne sentir ni faim ni soif, et de rebuter les aliments. Que si, à l’égard du corps, ce dégoût est le signe et la cause de dangereuses maladies, il en est de même, à plus forte raison, pour l’âme. Maintenant donc qu’elle est infirme et accablée du poids de son infirmité, comment pourrons-nous la relever et la rétablir ? Que ferons-nous ? que dirons-nous ? Il faut écouter attentivement la divine parole, lire avec application les livres des prophètes, des apôtres, des évangiles et tous les autres. Nous connaîtrons alors qu’il est mieux et beaucoup plus avantageux d’user de pareils aliments que de mets impurs ; car tel est le nom qu’on peut donner justement aux niaiseries et aux réunions frivoles dont j’ai parlé.
Dites-moi, je vous prie, lequel vaut le mieux, ou de parler de marché, de procès, de guerre, ou de s’entretenir des choses célestes et de ce qui doit arriver après cette vie ? lequel est le plus profitable, de parler de son voisin, de ses affaires, et de s’informer curieusement de ce que font les autres, ou de discourir sur les anges et sur ce qui nous importe ? Ce qui est à votre voisin n’est point à vous ; mais ce qui concerne le ciel vous concerne aussi. Mais, direz-vous, il suffit de dire un mot de ces sortes d’affaires, pour être quitte de son devoir. Pourquoi donc ne pensez-vous pas ainsi de toutes ces choses sur lesquelles vous disputez vainement et témérairement ? pourquoi y passez-vous toute votre vie ? pourquoi trouvez-vous que ce genre de sujets n’est jamais épuisé ?
Je ne dis point encore ce qu’il y a de pire. Les conversations dont je parle sont celles des honnêtes gens. Mais les hommes sans principes et sans mœurs ne savent parler que de baladins, de comédiens, de danseurs et de cochers ; et par ces discours ils souillent leurs oreilles ils corrompent leur âme, ils dégradent leur nature, gâtent leurs inclinations et se prédisposent à toute sorte de vices et de crimes. Car à peine a-t-on prononcé le nom d’un danseur, qu’aussitôt son image, sa figure, son ajustement efféminé, et toute sa personne plus efféminée encore, se peint et se retrace dans l’âme. Un autre se met à parler d’une prostituée, il entretient la compagnie de ses paroles, de ses gestes, de ses yeux, de ses regards lascifs, de l’arrangement de ses cheveux, du fard, du rouge qu’elle met sur ses joues et autour de ses yeux ; et par là il ressuscite et embrase le feu de la concupiscence. Mais cette description, même dans ma bouche, n’a-t-elle fait aucune impression sur vous ? Avouez-le, n’en soyez pas honteux, n’en rougissez point : car c’est là un effet tout naturel, l’âme reçoit l’impression des choses qu’elle entend. Or, si moi-même vous parlant, si, debouts dans l’église et bien éloignés de tous ces objets, seulement pour en entendre dire un mot, vous vous sentez émus, pensez dans quelle disposition doivent être ceux qui vont tranquillement s’asseoir au théâtre, où ils ne sont retenus par aucune crainte ni par le respect qu’éveille la vue de cette auguste assemblée, où ils voient et entendent sans rougir tout ce qui se fait et tout ce qui se dit. Et pourquoi, dira peut-être quelqu’auditeur inattentif, si cette affection de l’âme, si ce qui se passe en nous est une nécessité de la nature, n’en rejetez-vous pas le blâme sur elle, et nous en accusez-vous ? C’est parce que, si la nature est responsable de l’ébranlement produit par ces discours, aller les entendre, ce n’est point le péché de la nature, c’est le péché de la volonté ; de même, nécessairement, celui qui se jette dans le feu se brûle, l’infirmité de la nature le voulant ainsi mais ce n’est pas la nature qui nous jette dans le feu et cause ainsi notre perte : un tel malheur n’est imputable qu’à la corruption de notre volonté.
Voilà ce que je vous conjure de vaincre et d’amender. Prenez garde de vous jeter vous-mêmes dans le précipice, dans l’abîme, dans le brasier du vice ; ne nous exposons pas aux flammes qui ont été préparées pour le diable. Je prie Dieu de nous délivrer tous de l’une et de l’autre de ces flammes, et de nous recevoir dans le sein d’Abraham, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui la gloire soit au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.