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vains prétextes, de fausses et de frivoles excuses, ce que prouvent visiblement leurs longs entretiens avec leurs amis, le temps qu’ils perdent dans les théâtres et aux spectacles des courses de chevaux, à quoi souvent ils passent des jours entiers, sans toutefois prétexter alors en aucune façon la foule et l’embarras des affaires. Quand donc il s’agit de ces misérables amusements, vous n’avez gardé de vous excuser et vous ne manquez pas de temps à perdre mais faut-il vous appliquer aux choses divines, elles vous paraissent si superflues et si méprisables, que vous estimez qu’elles ne valent pas un de vos instants ; mais des gens qui ont de pareils sentiments sont-ils dignes de respirer encore ou de voir le soleil ?
Ces lâches, ces paresseux produisent encore un très-vain et très-frivole prétexte : ils disent qu’ils n’ont pas les livres. En ce qui concerne les riches, il serait ridicule à nous de nous arrêter à faire justice de cette excuse. Quant aux pauvres, comme je m’imagine qu’ils y ont souvent recours, je voudrais leur demander si chacun – d’eux n’a pas au complet tous les outils propres et convenables à sa profession, fût-il même dans une extrême indigence ? N’est-il donc pas bien absurde de ne point prétexter ici sa pauvreté, de ne rien omettre pour surmonter toutes les difficultés et repousser tous les obstacles, et de s’excuser, de se lamenter sur ses occupations et son indigence, quand il y a tant à gagner ?
Mais quand même quelques-uns seraient assez pauvres pour ne pouvoir pas se donner ces livres, ils pourraient encore, par la lecture assidue qu’on fait ici des saintes Écritures, ils pourraient, dis-je, ne rien ignorer de ce que contiennent ces livres divins. Que si cela vous paraît impossible, je le conçois. Car plusieurs n’apportent pas ici un grand zèle pour écouter : après avoir écouté par manière d’acquit, ils s’en vont aussitôt chez eux. Que si quelques-uns restent plus de temps, ils n’en sont pas plus avancés que ceux qui se sont promptement retirés, puisqu’ils n’ont été présents que de corps. Mais pour ne pas vous fatiguer davantage par des reproches, ni consumer tout le temps en réprimandes, reprenons les paroles de notre Évangile : il est temps d’arriver au sujet que nous nous sommes proposé ; soyez attentifs, afin qu’aucune parole ne vous échappe.
« Et le Verbe s’est fait chair, et a demeuré parmi nous ». Le saint évangéliste, après avoir dit que ceux qui l’ont reçu sont nés de Dieu et sont ses enfants, rapporte la cause ineffable d’un si grand honneur, à savoir celle-ci : le Verbe s’est fait chair, et le Seigneur a pris la forme de serviteur. Étant vrai Fils de Dieu, il s’est fait fils de l’homme, pour faire les hommes enfants de Dieu. Le sublime, en se rapprochant de ce qui est humble et bas, le relève, sans nuire en rien à sa propre gloire. et voilà ce qui s’est fait en la personne de Jésus-Christ. En effet, il n’a point diminué sa nature par un si profond abaissement, et il nous a élevés à une gloire ineffable, nous qui étions toujours demeurés dans l’infamie et dans les ténèbres : ainsi, qu’un roi qui parle avec amour et avec bonté à un pauvre et à un mendiant, ne se déshonore point, ne fait rien de honteux, et rend ce pauvre illustre, le couvre de gloire devant tout le monde. Que si, lorsqu’il s’agit de ces dignités humaines qui sont purement empruntées, celui qui en est revêtu peut, sans se faire tort, fréquenter son inférieur : à plus forte raison, la même chose est-elle vraie de cette immortelle et bienheureuse substance qui n’a rien d’emprunté, d’accidentel ou de passager, mais dont tous les attributs sont immuables et éternels. C’est pourquoi, quand vous entendrez ces paroles : « Le Verbe s’est fait chair », ne vous troublez point, ne vous scandalisez point. La substance « divine » n’a point été changée en chair ; il serait impie d’avoir une pareille idée : mais Dieu demeurant ce qu’il était a pris la forme de serviteur.
2. Mais pourquoi saint Jean s’est-il servi de cette parole : « Il s’est fait ? » C’est pour fermer la bouche aux hérétiques[1]; car il y en a qui prétendent que le Verbe ne s’est point fait réellement homme, et que tout ce qui regarde le mystère de l’Incarnation n’est qu’apparence, allégorie, illusion. Le saint évangéliste a donc usé de ce mot : « Il s’est fait », pour prévenir ce blasphème : il ne veut point par là marquer un changement de substance (Dieu nous garde de cette pensée), mais montrer qu’il a réellement et véritablement pris une chair. Lors

  1. Le saint Docteur combat ici les hérétiques nommés Docetes ou Apparens, parce qu’ils prétendaient que Jésus-Christ n’était né, mort et ressuscité qu’en apparence. Ils avaient pour père Simon le Magicien, comma les Gnostiques, c’est-à-dire, les savants et éclairés. – Voyez S. Ign. M. Epist ad Trall et ad Smyrn. – Dans saint Irénée le mot δοχὴσει est traduit en latin par celui de putative, en opinion, en apparence, liv. I et suiv. Voy. Till. Hist. Eccl. T. 2, p. 43 et 54, et la note ; de D. Bern. De Montf., hic.