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ne permet pas seulement de dire ce que ces personnes font en secret ». (Eph. 5,32) De même que dans les ténèbres nous ne connaissons ni l’ami ni l’ennemi, et ne discernons pas les objets, ainsi dans le péché nous ne voyons rien : l’avare ne distingue pas l’ami de l’ennemi ; l’envieux voit d’un œil d’inimitié l’homme qui lui est le plus dévoué ; celui qui tend des pièges déclare la guerre à tout le monde. En un mot, quiconque est asservi au péché ne diffère point des gens, ivres et furieux et cesse de discerner les choses. Comme dans la nuit, faute de lumière pour distinguer les objets : le bois, le plomb, le fer, l’argent, l’or, les pierres précieuses, tout paraît semblable à nos yeux ; de même celui qui vit dans l’impureté ne connaît point l’excellence de la sagesse ni la beauté de la philosophie. En effet, dans les ténèbres, comme je l’ai déjà dit, les pierres précieuses ne montrent pas leur propre beauté ; et cela ne provient point de leur nature, mais de l’ignorance de ceux qui les regardent.
Mais ce n’est point là le seul malheur qui accable celui qui vit dans le péché : il est dans une crainte perpétuelle, et de même que ceux qui se trouvent en chemin dans une nuit obscure, où la lune ne brille point, tremblent toujours, quoiqu’il n’y ait là personne pour causer leurs alarmes ; ainsi les pécheurs sont dans une méfiance continuelle, quand bien même personne ne leur ferait de reproches. Mais les remords de leur conscience font que tout les effraie, tout leur est suspect, que tout est plein pour eux de crainte et de terreur, et qu’ils ne voient rien qui ne les inquiète.
Fuyons donc une vie si tourmentée, car après ces inquiétudes la mort viendra, et une mort éternelle, où les supplices n’auront point de fin. Mais en ce monde même, ces pécheurs, qui s’imaginent des choses sans réalité, ne diffèrent point des fous ; ils se croient riches, et ils ne le sont pas ; il leur semble qu’ils vivent dans les plaisirs et dans les délices, et ils n’ont ni délices ni plaisirs, et ils ne reconnaissent et ne sentent comme il faut combien leurs idées sont fausses et trompeuses qu’après s’être guéris de leur démence, avoir secoué leur léthargie. Voilà pourquoi saint Paul veut que nous soyons tous sobres et vigilants, et Jésus-Christ nous le commande aussi. Celui qui est sobre et qui veille, si le péché le surprend, aussitôt il le chasse ; mais l’insensé ou celui qui dort ne sait pas comment le péché s’empare de lui. Ne nous endormons donc point, car la nuit est passée, nous sommes dans le jour. « Marchons donc avec bienséance et avec honnêteté, comme « marchant durant le jour », (Rom. 13,13)
En effet, rien n’est plus laid, rien n’est plus honteux que le péché. Ce serait un moindre mal, à le prendre du côté de la honte et de la laideur, d’aller nu dans les rues, que couvert et chargé de péchés et de crimes. D’aller nu, ce ne serait pas un si grand crime, puisque souvent l’indigence en est la cause ; mais il n’est rien de si infâme ni de si méprisable que le pécheur.
Représentons-nous ces voleurs qu’on traîne devant les juges pour leurs rapines et leurs spoliations : voyons combien leurs insolences, leurs friponneries et leurs violences les rendent hideux, ridicules et méprisables. Oh que nous sommes misérables et malheureux ! Nous qui ne voulons pas souffrir sur nous un manteau mal arrangé ou à l’envers, et qui, si nous le voyons ainsi sur un autre, y portons aussitôt la main pour l’ajuster : si notre prochain et nous, nous marchons de travers dans la voie des commandements de Dieu, nous ne nous en apercevons point du tout. Qu’est-il, je vous prie, de plus vilain et de plus infâme qu’un homme qui entre chez une prostituée ? Qu’y a-t-il de plus ridicule et de plus risible qu’un homme violent, qu’un médisant, qu’un envieux ? Comment peut-il se faire qu’on ne regarde pas ces choses comme aussi honteuses que d’aller nu dans les rues ? C’est seulement parce qu’on s’est accoutumé à ces Sortes de vices ; car on n’a jamais vu personne marcher nu dans les rues volontairement : mais la coutume fait que l’on pèche hardiment.
Certes, si quelqu’un entrait dans la société des anges, où il ne s’est jamais rien passé de semblable, il connaîtrait bientôt combien ces sortes d’actions sont honteuses et ridicules. Mais pourquoi nommé-je la société des anges ? Aujourd’hui même, et parmi nous, si quelqu’un ose introduire une femme de mauvaise vie dans le palais de l’empereur, ou s’y enivrer, ou y commettre quelqu’autre action honteuse, il en est puni du dernier supplice. Que s’il n’est pas permis de rien faire de semblable dans le palais du prince, à plus forte raison, commettre de pareilles actions quelque part que ce soit, quand le Roi de l’univers est présent