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transporté au milieu de l’Océan, et lui avoir ôté la vue des premiers objets qui l’occupaient, le placerait en un lieu qui, n’étant point borné, offrirait à ses yeux un spectacle immense. Ainsi l’évangéliste nous élève au-dessus de toutes les créatures, nous envoie au-delà des siècles qui ont précédé la création, et nous tient les yeux en l’air et en suspens, sans nous fixer titi terme, parce qu’il n’y en a point car la raison, qui veut pénétrer dans ce commencement, cherche quel est ce commencement ; et trouvant qu’il est dit du Verbe : « Il était », elle veut encore aller plus loin, et ne voit point où se fixer ; elle regarde sans relâche jusqu’à ce qu’enfin la fatigue la force à redescendre : car ce mot « Au commencement était », ne désigne et ne montre que ce qui a toujours été, et ce qui est éternel.
Vous le voyez, mes fières, qu’il n’en est pas de la vraie philosophie, et des dogmes divins, comme de ceux des Grecs : les païens reconnaissent et assignent des temps, et disent qu’entre leurs dieux, il y en a de vieux et de jeunes, d’anciens et de nouveaux : mais on ne trouve parmi nous rien de semblable. Car s’il y a un Dieu, comme il y en a sûrement un, il n’y a rien avant lui : s’il est le Créateur de toutes choses, il est avant toutes choses : s’il est le Seigneur et le Souverain de tous les êtres, rien ne vient qu’après lui, et les créatures et les siècles.
J’avais dessein d’entrer dans d’autres questions, mais peut-être votre esprit est déjà fatigué ; c’est pourquoi, après avoir donné quelques avis utiles et nécessaires pour l’intelligence de ce que j’ai dit et de, ce qui me reste à vous dire, je finirai ce discours. De quoi veux-je donc vous avertir ? le voici : Je sais que les longs sermons fatiguent bien des gens ; mais cela n’arrive que lorsque l’esprit des auditeurs est préoccupé et accablé du soin et de l’embarras des affaires séculières. Car comme l’œil, quand il est pur et net, voit les objets clairement et distinctement, et ne se fatigue point, lors même qu’il regarde les corps les plus petits et les plus subtils, tandis qu’au contraire, quand il découle du cerveau quelque mauvaise humeur, ou qu’il s’élève des entrailles quelque nuage épais qui vient s’attacher sur la prunelle, il ne peut même pas clairement distinguer les corps les plus gros et les plus matériels : ainsi, tant que l’âme reste pure et saine, et n’est infectée d’aucune maladie, elle regarde sans défaillance tout ce qu’elle doit voir ; mais quand elle est souillée de mille passions, et qu’elle a perdu son ancienne vigueur, elle ne peut pas, facilement atteindre aux choses célestes, mais elle se fatigue aussitôt, elle tombe dans l’accablement, se laisse gagner par le sommeil et par la paresse, et néglige et abandonne ainsi ce qui la conduirait à la vertu et à une vie honnête, ou elle ne s’y porte que mollement et faiblement.
5. Pour ne pas tomber dans ce malheur, mes chers frères (car je ne cesserai point de vous répéter ce que je viens de vous dire), ranimez votre courage ; de cette manière vous ne nous obligerez pas de vous faire le reproche que saint Paul faisait aux Hébreux nouvellement convertis à la foi : « Nous aurions », leur disait-il, « beaucoup de choses à dire qui sont difficiles à expliquer » : Non qu’elles le soient de leur nature, « mais à cause de notre lenteur et de notre peu d’application à les entendre ». (Héb. 5,11) En effet, celui qui a l’esprit lourd et paresseux se fatigue également d’un court comme d’un long discours, et trouve difficile à entendre ce qui est clair et aisé. Loin d’ici donc de tels auditeurs ! mais qu’après s’être déchargé de tout le soin des choses terrestres, chacun vienne écouter la divine parole qu’on va vous expliquer.
Lorsque l’auditeur est prévenu de l’amour des richesses, il ne peut plus être possédé de celui de l’instruction, attendu qu’un même cœur ne peut suffire à plusieurs passions, qu’une passion chasse l’autre, et qu’étant partagé il en devient plus faible[1] : la passion dominante attire tout à soi. C’est ce qu’on a coutume de voir dans les pères à l’égard de leurs enfants. Si un père n’a qu’un seul enfant, il lui donné toute son affection et sa tendresse, mais quand il en a plusieurs, son amour se partage et s’affaiblit d’autant. Que s’il en est ainsi pour les attachements les plus impérieux de la nature et du sang, et quand l’affection, tout en se dispersant, ne sort pas de la famille, que sera-ce des amours qui proviennent de la volonté, surtout lorsqu’ils sont inconciliables à ce point ? car l’amour des richesses est contraire à l’amour d’une telle doctrine. Nous entrons

  1. Nul ne peut servir deux maîtres, dit notre souverain Maître, car ou il haïra l’un, et aimera l’autre, ou il se soumettra à l’un, et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et les richesses. (Mt. 6,24)