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cesse de persuader tous ceux qui l’écoutent, et confirme par cette nouvelle preuve qu’il est inspiré de Dieu. Qui n’admirerait un pareil pouvoir ? Ce talent, ce don de persuasion, comme je l’ai fait voir, prouve manifestement que la doctrine et les préceptes qu’il enseigne ne sont pas de lui. Ce barbare a donc fait entendre sa voix jusqu’aux extrémités de la terre (Ps. 18,4), et a répandu son Évangile dans tout le monde. Il l’a semé par lui-même en personne dans la moitié de l’Asie, là où les sages, où les philosophes grecs tenaient leurs écoles de philosophie c’est en quoi il est formidable aux démons, car il brille au milieu des ennemis, il dissipe leurs ténèbres et renverse leurs forts : mais son âme s’est élevée au ciel, dans le séjour qui convient à Celui qui opère de si grands prodiges. Et voici que tous les dogmes des philosophes sont tombés et anéantis, tandis que la doctrine de Jean acquiert tous les jours plus de force et une nouvelle splendeur. A peine a-t-il paru avec les autres pêcheurs que les doctrines de Platon et de Pythagore, naguère puissantes, tombent dans le silence et l’oubli, jusque-là que la plupart ignorent aujourd’hui le nom même de ces philosophes.
Cependant Platon passe pour avoir été appelé à la cour des tyrans ; il eut, dit-on, beaucoup d’amis et fit le voyage de Sicile. Pythagore domina sur la grande Grèce ; et mit en œuvre mille prestiges : ainsi s’explique ce qu’on raconte de lui, qu’il parlait avec les bœufs[1]. En quoi il paraît visiblement qu’un philosophe qui parlait ainsi avec les bêtes n’était nullement utile aux hommes, ou plutôt qu’il ne pouvait que leur être très-nuisible. C’est à l’homme qu’il appartient spécialement par sa nature de s’élever à la philosophie ; toutefois celui-ci parlait, à ce que l’on dit, ou feignait de parler avec les aigles et avec les bœufs. Non que d’une nature irraisonnable, il sût faire (ce qui est interdit à l’homme) quelque chose de raisonnable (ce que l’homme ne peut point), il ne faisait que tromper les sots par des prestiges et des illusions. Au lieu d’enseigner aux hommes une doctrine utile, il leur disait que manger des fèves et avaler la tête de leurs parents c’était une même chose. Il persuadait à ses disciples que l’âme de leur maître devenait tantôt un arbrisseau, tantôt une jeune fille, tantôt un poisson. N’est-il pas naturel que de semblables rêveries aient fini par tomber dans un profond oubli ? Oui, certes, et la raison le voulait ainsi. Mais on n’en peut pas dire autant de ce qu’a enseigné l’homme grossier et sans lettres : les Syriens, les Indiens, les Perses, les Égyptiens, et une infinité d’autres nations, ayant traduit en leurs langues la doctrine et les instructions qu’il leur a données, ont appris à philosopher, quoique ce ne fussent que des barbares.
3. Je n’ai donc pas eu tort de dire que tout le monde entier lui a servi de théâtre. Il n’a pas, comme Pythagore, quitté et rejeté ceux qui étaient de même nature que lui, pour aller vainement instruire les bêtes : travail infructueux et inutile, qui marque une très-grande folie en celui qui l’entreprend. Mais exempt de ce vice, aussi bien que de tout autre, il s’attachait uniquement à apprendre aux hommes ce qui leur est utile, et ce qui peut les élever de la terre au ciel. C’est pourquoi il n’a point enveloppé ses dogmes de nuages et de ténèbres, comme ceux qui couvraient d’obscurités, ou d’une espèce de voile la mauvaise doctrine qu’ils débitaient : mais la doctrine de saint Jean est plus lumineuse que les rayons du soleil ; aussi généralement tous les hommes la voient à découvert. Car il ne prescrivait pas à ses disciples cinq années de silence : de même que ce philosophe, il ne leur ordonnait pas de rester immobiles comme des pierres en l’écoutant[2]; enfin il ne soutenait pas faussement qu’on pouvait tout définir, tout expliquer par les nombres : mais, rejetant toute cette vaine et fastueuse doctrine, écartant de nous ces pernicieux pièges de Satan, il a mêlé et répandu tant de lumière et de facilité dans ses paroles, qu’il n’a rien dit qui ne soit clairement entendu, non seulement des hommes et des sages, mais des plus simples femmes et des enfants. Car il croyait cette parole véritable et bonne pour tous ceux qui l’écouteraient : et c’est ce qui résulte de toute la suite des temps, car elle a attiré à soi tous les hommes qui

  1. Le Révérend Père Dom Bernard de Montfaucon dit sur cet endroit, qu’il ne se souvient pas d’avoir lu nulle part, que Pythagore ait parlé avec les bœufs et avec les aigles ; si ce n’est qu’on y veuille rapporter ce qu’écrit Diogène Laërce, dans la vie de ce philosophe, que l’âme de Pythagore avait passé dans les arbres et dans les animaux qu’elle avait voulu choisir ». LE MÈRE. – Le conte auquel saint Chrysostome fait allusion est rapporté dans les Vies de Pythagore par Porphyre (chap. 23), et par Iamblique (chap. 13). Note du nouveau traducteur.
  2. Comme s’il eût eu à instruire des pierres insensibles. Autrement : Comme s’il eût été assis au milieu d’un monceau de pierres insensibles, etc.