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de filets et de poissons, cet homme de Bethsaïde de Galilée, ce fils d’un pêcheur pauvre, extrêmement pauvre, cet ignorant dont l’ignorance était si profonde et qui demeura illettré et avant et après qu’il se fut attaché à Jésus-Christ. Ne va-t il pas nous parler de champs, de rivières et de commerce de poissons ? On ne s’attend peut-être pas à d’autres discours d’un pêcheur ; mais ne craignez point. Nous n’entendrons rien de ce genre, il rie nous entretiendra que de choses célestes, que de choses que personne ne savait avant lui : il va nous enseigner une doctrine aussi sublime, une morale aussi excellente, et une philosophie aussi belle que le peut et le doit celui qui a puisé dans les trésors de l’Esprit-Saint, et qui vient tout présentement de descendre du ciel : ou plutôt, il est à croire que les anges mêmes qui sont dans le ciel ne savaient pas encore, avant qu’il eût parlé, ce qu’il va nous apprendre.
Je vous le demande : Est-ce là le langage d’un pêcheur, ou même d’un rhéteur ? d’un sophiste, d’un philosophe ? de l’homme le plus profondément versé dans la science humaine ? Non, certes. Car il n’est point d’intelligence humaine capable de philosopher, ou de raisonner comme lui sur la nature bienheureuse et immortelle ; sur les puissances qui lui sont subordonnées ; sur l’immortalité et la vie éternelle, ni sur les corps mortels qui doivent dans la suite devenir immortels ; sur le supplice et le jugement futurs ; sur le compte que chacun rendra de ses paroles, de ses actions, de ses pensées ; ni de savoir ce que c’est que l’homme, ce que c’est que le monde, ce qu’est véritablement l’homme, à la différence de ce qui semble l’être, et ne l’est pourtant point ; en quoi consiste le vice, en quoi consiste la vertu.
2. Platon et Pythagore ont agité quelques-unes de ces questions : pour les autres philosophes, ils ne méritent pas qu’on les nomme, tant ils se sont rendus ridicules : les plus célèbres chez les païens, ceux qui sont regardés par eux comme les princes de la science, je les ai nommés : c’est à eux qu’on doit, par exemple, certains traités sur la République et les lois : tout cela ne les a pas empêchés de se ridiculiser par des opinions dont rougiraient des enfants, la communauté des femmes, le bouleversement de la société l’avilissement du mariage. C’est à promulguer ces absurdités et d’autres encore, qu’ils ont dépensé leur vie tout entière. Mais rien de plus honteux que leurs doctrines sur la nature de l’âme : ils ont enseigné que les âmes des hommes devenaient des mouches, des moucherons, des arbrisseaux ; que Dieu même était l’âme, et d’autres infamies pareilles. Et ce n’est pas seulement pour cela qu’ils sont à reprendre, ils le sont encore pour leurs innombrables contradictions : agités comme l’Euripe[1], ce n’est que flux et reflux dans leurs sentiments et dans leur doctrine ; aussi n’avaient-ils rien de vrai, rien de solide à dire.
Mais le pêcheur ne dit rien que de certain, rien que de vrai ; fondé sur la pierre, il est inébranlable et ne peut chanceler. Admis dans le sanctuaire même du ciel, parlant par l’inspiration du Seigneur, sa parole n’éprouve aucune des défaillances de l’humanité. Les philosophes, au contraire, qui n’ont jamais été reçus à cette cour céleste, pas même en songe, qui pêle-mêle avec le reste des hommes n’ont hanté que les places publiques, voulant s’élever jusqu’aux êtres invisibles, par la seule force de leur esprit, sont tombés dans de grandes erreurs : ils ont osé discourir de choses ineffables, et, comme des aveugles ou des ivrognes, ils se sont heurtés mutuellement dans leur course à l’aventure ; que dis-je ? ils se sont contredits eux-mêmes, perpétuellement infidèles à leurs propres opinions.
Saint Jean est un homme sans lettres, grossier, de Bethsaïde, fils de Zébédée. Que les Grecs se moquent et rient de la rudesse de ces noms ; je ne parlerai pas pour cela avec moins de confiance, j’en aurai même davantage : car plus cette nation leur paraît barbare et éloignée de leurs mœurs et de leurs coutumes, plus aussi ce que j’en dirai paraîtra grand et admirable. En effet, un barbare, un ignorant dit des choses qui ont été jusqu’à présent inconnues au reste des hommes ; et non seulement il les dit, mais il les persuade : se fût-il borné à les dire, ce serait déjà une grande merveille : mais voici qui la surpasse : il ne

  1. L’Euripe est un canal, ou détroit entre la Béotie et l’Eubée, continuellement agité par le flux et le reflux. D’où sont venus ces dictons proverbiaux : Homme euripe, pour dire homme inégal : Esprit euripe, pour dire esprit flottant : Fortune euripe, pour fortune changeante. Εύριπιξειν, être dans une agitation continuelle. Cicéron compare les assemblées du peuple romain à l’Euripe. Quel détroit, dit-il, quel Euripe, avec ses agitations et ses bourrasques, apprécie, des bourrasques et des agitations qui règnent dans nos assemblées ! Pro Planc.