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véritablement Dieu : donc s’il n’eût pas été égal à son Père, s’il n’eût pas été véritablement Dieu, étant pieux, saint et juste, comme vous le reconnaissez et le confessez, aurait-il pu laisser les Juifs dans leur erreur, leur laisser croire qu’il se faisait égal à Dieu le Père, et qu’il se disait Dieu ? Non certes, s’il n’était pas un fourbe et un imposteur, ce qui est horrible à dire, il ne pouvait pas s’empêcher de leur découvrir leur erreur, et de leur déclarer ce qu’il était. Et toutefois, il fait le contraire : il insiste continuellement là-dessus, il leur confirme son égalité avec son Père, par de nouvelles paroles et de nouveaux témoignages ; et il leur marque sa puissance et sa divinité par des prodiges et des miracles toujours plus évidents.
Il est vrai que dans ces mêmes paroles et ces mêmes œuvres qui prouvent sa divinité, son égalité avec son Père et sa consubstantialité, Jésus-Christ mêle beaucoup de choses tout humaines et tout ordinaires : mais c’est parce qu’il parlait souvent comme homme ; c’est parce qu’il voulait donner aux hommes un modèle de modestie et d’humilité, et être lui-même ce modèle ; c’est aussi parce que, les Juifs étant méchants, le baissant, ne cherchant que l’occasion de le surprendre et de l’accuser, et ne pouvant souffrir la doctrine de la divinité et de la consubstantialité, il voulait peu à peu les adoucir, les attirer, les faire entrer dans leur devoir et les convertir. Mais néanmoins, nulle part, ni jamais, il n’a rétracté aucune des paroles qu’il avait dites, pour montrer son égalité avec son Père et sa consubstantialité. Et même, s’il mêle quelquefois dans son discours quelques paroles peu relevées et communes, il y en joint aussitôt d’autres qui prouvent et démontrent qu’il est véritablement Dieu, et consubstantiel à son Père.
C’est pourquoi il faut lire l’Évangile de saint Jean avec beaucoup d’attention et de prudence, pour ne point se heurter contre les pierres d’achoppement qu’on y rencontre, et ne pas tomber dans les précipices. Ce qui est arrivé est une preuve que ce chemin en est bordé de tous côtés, mais pour ceux qui se confient en leur propre sens, et qui ne s’attachent point à l’Église de Dieu. Sabellius, uniquement attentif à ces paroles par lesquelles Jésus-Christ montre son égalité avec son Père et sa consubstantialité, a ôté la distinction des personnes pour avoir mal entendu la consubstantialité, et a dit que le Père, et le Fils, et le Saint-Esprit n’étaient qu’une seule et même personne : Arius, ayant trouvé une pierre d’achoppement dans les paroles tout humaines de Jésus-Christ, est tombé dans une autre impiété, en enseignant que la substance du Père est différente de la substance du Fils, et que celle-ci lui est inférieure. C’est ainsi que doivent toujours craindre de faire naufrage en la foi, tous ceux qui abandonnent la grosse ancre, ou qui s’écartent de la doctrine et des décisions de l’Église.
Ces pierres d’achoppement ne se rencontrent pas seulement dans l’Écriture, il s’en trouve aussi dans les Pères : dans saint Chrysostome, il s’en trouve. Le Saint dit, ou plutôt il parait dire dans quelques-unes de ses Homélies que « Dieu ne nous prévient point ». Si nous nous arrêtons à l’écorce de ces sortes d’expressions, nous sommes Pélagiens : « Il est de foi que Dieu nous a aimés le premier », que « la vocation à la foi est purement gratuite », qu’« il nous prévient de sa grâce par sa sainte miséricorde », que « sans les mérites du divin Sauveur nous serions tous demeurés dans le péché et morts ennemis de Dieu, etc. » Pour ne se heurter et ne se briser pas contre ces pierres d’achoppement, le vrai secret est de lire toujours avec attention et avec prudence, de s’assurer d’abord de la doctrine de l’auteur, de voir en quel siècle, en quel temps, contre qui il a écrit, quelles hérésies déchiraient alors l’Église, et d’examiner enfin ce qui précède et ce qui suit. Par exemple, dans l’endroit de saint Chrysostome que nous citons, le Saint ajoute immédiatement et tout de suite : « La grâce ne nous force point » ; il parle aux Manichéens, qui ôtaient absolument toute liberté à l’homme, etc. Le saint Docteur veut donc simplement établir contre ces impies, que Dieu ne force et ne nécessite point l’homme, qu’il lui conserve sa liberté ; qu’il lui fait vouloir et faire le bien librement ; en un mot, que la grâce ne détruit point le libre arbitre.
Véritablement, l’expression parait d’abord un peu forte ; mais, en suivant de près la doctrine du saint Docteur, qui est toujours pure et orthodoxe, en considérant la fureur enragée de ces ennemis de Dieu et de son Église, elle reprend sa nature, et on découvre le vrai sentiment de fauteur. C’est à quoi un lecteur sage et judicieux doit toujours faire attention, pour ne se pas laisser entraîner dans les pièges de ceux qui, ou par ignorance, ou par des préjugés et des sentiments de parti, jugent témérairement de la doctrine des plus grandes lumières de l’Église, décident en maîtres, lorsqu’ils devraient s’honorer de la qualité de disciples, et condamnent hardiment ceux à qui ils doivent tout leur respect et leur profonde vénération.
Pour finir ce que nous avions à dire sur ces Homélies, nous ne ferons plus que cette seule observation. Comme saint Jean est celui de tous les évangélistes qui a le plus fortement et avec le plus de