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n’a point été brûlée, je vous répondrai d’abord que ce feu n’était pas un feu sensible, bien qu’il en eût les apparences, ensuite que quand Dieu opère quelque chose, il ne faut pas faire sur son opération des recherches curieuses et difficiles.
5. Que dis-je, on a parfois vu un feu ardent et sensible reproduire l’effet qui lui est propre sur des corps qu’on lui livrait. Si donc dans cette fournaise remplie de sarments et de poix la flamme oublia sa propre nature, pourquoi vous étonner que dans une circonstance si extraordinaire, le feu, loin de consumer, n’ait servi qu’à purifier ? « J’entendis la voix du Seigneur qui disait : Qui enverrai-je et qui ira vers ce peuple ? » Voyez-vous ce qu’a produit la vision, le bien que la crainte a opéré ? La même chose est arrivée à Moïse. S’il ne vit ni les séraphins ni Dieu assis sur un trône, le spectacle qui lui apparut n’était pas moins étrange, il était même si étonnant que personne n’eût pu le contempler. Car « le buisson brûlait, sans se consumer. » (Ex. 3,2) Et pourtant après ce grand prodige et bien que Dieu l’eût beaucoup encouragé, le grand Moïse hésitait, il imaginait mille prétextes pour se soustraire à sa mission : « J’ai », dit-il, « la voix grêle et la langue embarrassée. » (Ex. 4,10, 13) Un autre prophète dit. « Choisissez-en un autre, Seigneur, pour l’envoyer. » C’est Jérémie qui parle ainsi en alléguant sa jeunesse (Jer. 1,16) Ézéchiel, bien qu’il eût reçu un ordre précis, reste encore sept jours auprès du fleuve, rempli d’hésitation et ne se sentant point la force d’accomplir sa mission. Aussi Dieu lui dit-il encore : « Je t’ai établi pour surveiller la maison d’Israël ; » et encore : « Je te redemanderai leur âme » (Ez. 3,17-18) Jonas fit plus que de refuser, il s’enfuit. Quoi donc ! Isaïe est-il plus hardi qu’eux tous, plus hardi que le grand Moïse ? Qui oserait le dire ? Pourquoi donc l’un hésite-t-il après avoir reçu l’ordre, tandis que l’autre, sans un commandement évident, embrasse avec ardeur cet office de prophète ? Dieu ne lui dit pas : Va, mais il dit seulement : « Qui enverrai-je ? » et Isaïe part aussitôt. Quelques-uns disent qu’après avoir péché en ne reprenant pas Ozias de son audace sacrilège, il voulut réparer sa faute, en acceptant avec empressement la mission que lui donnait Dieu, afin de l’apaiser : c’est pour cela que ses lèvres, disait-il, étaient impures, parce qu’il n’avait pas parlé avec franchise. Mais je ne saurais me ranger à cet avis ; Paul est plus digne de foi, lui qui appelle Isaïe homme sans crainte : « Isaïe ne craint pas de dire. » (Rom. 10,20) C’est peur cela qu’il ne termina pas sa vie par une mort naturelle, mais les Juifs lui infligèrent le dernier châtiment, parce qu’ils ne pouffaient supporter son tannage énergique. D’ailleurs l’Écriture ne dit nulle part qu’il fût présent quand Ozias montra son audace, ni que le voyant il se soit tu : ceux qui l’affirment ne font qu’une conjecture sans fondement. Que dirons-nous donc ? Que le ministère de Moïse et celui-ci ne se ressemblent pas. L’un est envoyé clans un pays étranger et barbare, à un roi furieux et insensé, l’autre est envoyé vers ses compatriotes, qui avaient souvent entendu les prophètes et reçu longtemps leurs instructions l’obéissance de l’un n’exigeait pas le même courage que celle de l’autre. Quelques-uns disent encore que ce fut une autre cause qui lui donna cette hardiesse. Comme il avait fait des aveux en son nom et au nom du peuple, et qu’un séraphin avait été envoyé vers lui pour purifier ses lèvres, il espérait que la même faveur serait accordée au peuple et qu’il serait député pour le lui annoncer : telle serait la raison pour laquelle il aurait montré tarit d’empressement. Si les saints aiment Dieu, ils sont aussi ceux qui aiment le plus les hommes. Aussi comme Isaïe espérait qu’il aurait à annoncer au peuple le pardon de ses péchés, il s’empressa de s’écrier : « Me voici : envoyez-moi. »
D’ailleurs il avait une âme hardie contre le danger, c’est ce que nous montre tout son ministère. Comme, après sa promesse, il n’osait plus refuser, il reçut son triste message. Mais voyez avec quelle sagesse Dieu le manie ! Il ne lui dit pas dès l’abord : Va et dis, mais il le tient un instant en suspens avant de lui révéler quel ordre il va lui donner, quelle mission il doit lui confier. Puis, quand il le voit disposé à obéir, il lui déclare les maux qui vont foudre sur les Juifs. Quels sont-ils ? « Va et dis à ce peuple : Vous entendrez et vous ne comprendrez pas ; vous regarderez et vous ne verrez pas. Car le cœur de ce peuple est endurci, ses oreilles sont bouchées, et ses yeux fermés, de peur que leurs yeux ne voient, que leurs oreilles n’entendent, que leurs cœurs ne comprennent, qu’ils ne se convertissent