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En effet quand des personnes s’aiment, elles ne peuvent pas, même dans des reproches, cacher l’excès de leur amour. Ceci nous fait découvrir un second enseignement qui n’est pas à dédaigner. Quel est-il ? C’est de savoir quand et four quels endroits de l’Écriture on peut se servir de l’interprétation allégorique ; qu’il n’est pas en notre pouvoir de régler cette manière à notre gré, qu’il faut avant tout nous attacher à la pensée même des Écritures, et n’user de l’interprétation allégorique qu’autant que nous y serons autorisés par le texte sacré lui-même.
Ce que je veux dire, le voici. L’Écriture se sert des termes de vigne, de haie, de pressoir ; et, au lieu de laisser l’auditeur libre d’appliquer ces figures aux choses ou aux personnes qu’il voudrait, elle en indique elle-même par avance l’interprétation, en disant : « La vigne « du Seigneur des armées, c’est la maison d’Israël. » Quand Ézéchiel parle d’un aigle énorme, aux grandes ailes, qui se dirige vers le Liban et qui enlève l’extrémité des branches d’un cèdre (Ez. 17,3), il ne laisse pas à l’auditeur le soin d’interpréter cette allégorie, mais il indique lui-même ce qu’il veut désigner par cet aigle et par ce cèdre. Notre prophète, un peu plus loin, parle d’un fleuve qui se répand avec violence sur la Judée, et ne voulant pas laisser à chacun la liberté d’appliquer cette figure selon sa guise à qui il voudrait, il déclare quel est le roi qu’il désigne par ce fleuve. Et telle est la pratique constante des saintes Écritures, qu’à l’allégorie se trouve jointe son interprétation, de peur que l’imagination déréglée des chercheurs d’allégorie n’aille à tout propos et sans motif s’égarer et se précipiter à l’aventure. Et vous étonnerez-vous si les prophètes l’ont fait, quand l’auteur des Proverbes n’a pas agi autrement ? Après avoir dit, « qu’une biche chérie, qu’un faon de délices soit avec vous ; que la source de cette eau soit pour vous seul (Prov. 5,19) », il indique à qui s’appliquent ces paroles, à une épouse légitime et libre, et non à une femme de fornication, à une adultère. De même Isaïe déclare ici qui cette vigne représente. Puis après avoir rappelé les crimes, il annonce le châtiment ; et à la fin il dit encore pour expliquer sa conduite : « J’ai attendu qu’ils fissent des actions justes et je ne vois qu’iniquité, et qu’ils portassent des fruits de justice et ils ne produisent que l’injustice criante. » C’est avec justice, veut-il dire, que je les punirai. Car j’ai attendu qu’ils fissent des actions justes, c’est-à-dire pleines d’équité ; et ils n’ont produit que le contraire, l’impiété, l’injustice, de criantes iniquités. Par ces iniquités criantes, il entend la passion des richesses, la colère injuste, les fureurs insensées, les luttes, les disputes. « Malheur à ceux qui joignent maison à maison, qui ajoutent terre à terre, pour enlever quelque chose à leur voisin (8) ! » Après avoir dit qu’ils se rendent coupables d’iniquités criantes parla passion des richesses, il indique une espèce de péché qui renferme une iniquité monstrueuse. Et il recommence ses gémissements, pour montrer combien sont grandes leurs fautes et incurables leurs maladies.
4. Ces crimes, nous les voyons encore maintenant commis par ceux qui abusent de leurs richesses, qui veulent s’emparer des possessions de leurs voisins, non pour se mettre en sûreté, mais pour nuire aux autres et qui, semblables à un feu envahisseur, ruinent tous leurs voisins. « Habiterez-vous donc seuls sur la terre ? Tout cela est monté aux oreilles du Seigneur des armées. » Ce qui veut dire que leurs efforts seront vains, inutiles et sans résultat. Comme en effet les châtiments et les fléaux sont moins propres à convertir ces pécheurs, que de savoir qu’ils ne jouiront pas de leurs rapines, le Prophète leur adresse cette menace et leur dit qu’ils travaillent, qu’ils se rendent malheureux, qu’ils accumulent injustice sur injustice, mais que la jouissance de leurs crimes leur sera ravie. Car, veut-il dire, cet œil qui ne connaît pas le sommeil ne se fermera pas sur leurs fautes. Ce mot « est monté » ne marque pas que les crimes viennent d’être manifestés à Dieu, mais bien que le châtiment est proche, qu’ils vont recevoir leur récompense. « S’ils ont beaucoup de maisons, toutes grandes et toutes belles qu’elles seront, elles deviendront désertes, sans qu’un seul homme y habite. »
Voilà l’effet de la passion d’amasser ; lorsqu’elle apporte des richesses nouvelles, elle fait négliger les premières. C’est ce qu’Isaïe indique en disant : Lorsque vous élèverez de splendides édifices et que vous acquerrez les biens des autres, vous perdrez les vôtres. Elles seront debout, ces maisons que personne n’habitera, mais qui accuseront si clairement les ravisseurs, car leur solitude même, si grande et si prolongée, sera comme un monument de