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le gardent, prennent la fuite. Par quel moyen ce fugitif pourrait-il donc être retenu ? Il faut chercher un moyen tout contraire à celui qu’on emploie pour les autres fugitifs. Les autres, quand on les retient, demeurent ; celui-ci quand on le retient, s’enfuit ; qu’on l’envoie au contraire, à droite et à gauche, il demeure. Ce que je vous dis, peut vous paraître étrange ; voyez ce que font les agriculteurs ! S’ils gardent le froment chez eux, enfermé, entassé, les teignes et les vers s’y mettent, tout est perdu. Si, au contraire, ils l’envoient, à droite, à gauche, dans les champs, non seulement ils le conservent, mais ils le multiplient. Il en est de même de l’or : est-il enfermé dans des coffres, gardé entre des portes, sous des verrous ; enfoui dans la terre ; vite, il prend la fuite. Mais si, comme l’agriculteur jette le blé sur la terre de labour, vous jetez votre or aux ventres affamés, non seulement il ne prend pas la fuite, mais, par ce moyen, il fructifie.
Pénétrés de cette vérité, ne le livrez donc plus à vos serviteurs, ménagez-vous des milliers de mains qui le retiennent ; les mains pies veuves, les mains des orphelins, les mains des mutilés, les mains des prisonniers. Votre or ne peut pas échapper à tant de mains qui le tiennent, mais, retenu sûrement, il demeure et fructifie. – Mais que laisserai-je à mes enfants, me dit ce père ? – Je ne vous force pas le moins du monde à tout répandre, quoique pourtant, quand vous répandriez tout, vous ne feriez par là que mieux assurer la fortune de vos enfants, à qui, au lieu de richesses, vous légueriez la faveur d’un Dieu propice, la fortune qui vient de l’aumône, des milliers de protecteurs parmi les hommes, d’innombrables bienfaiteurs. En effet, de même que nous détestons les avares, qui ne nous ont fait aucun mal, de même ceux qui font des aumônes et dont nous n’éprouvons pas personnellement ta bonté, nous les respectons, nous les chérissons et avec eux nous chérissons leurs enfants. Considère donc cette beauté, que tes fils aient des milliers d’âmes pour les aimer ; que tous les hommes, en échange de l’or dépensé pour le soutien des indigents, puissent dire. celui-ci est le fils d’un homme plein de bonté, le fils d’un homme miséricordieux. Quant à toi, voici ce que tu fais, tu embellis ce qui est insensible. Une pierre est insensible, et tu l’entoures de milliers de talents d’or ; au contraire, voici un être sensible que la faim fait mourir et tu ne partages pas avec lui, même la nourriture qui lui est nécessaire. Eh bien ! quand le redoutable tribunal apparaîtra, quand tes yeux verront les fleuves de feu, quand on nous demandera compte de nos actions, que répondras-tu pour une telle négligence, pour un tel délire, pour tant de cruauté et de barbarie ? Quelle sera l’excuse légitime ?
Chaque homme a son but et sa raison ; l’agriculteur à qui tu demanderas compte, te dira pourquoi il a attelé ses bœufs, creusé son sillon, tiré sa charrue ; le marchand, pourquoi il s’est embarqué, il a enrôlé des ouvriers, fait des dépôts d’argent ; et l’architecte, et le cordonnier, et l’ouvrier en bronze, et le pâtissier, tous les artisans, un à un, quelle que soit leur industrie, peuvent rendre leurs comptes. Eh bien ! toi aussi, qui couvres d’argent ton lit, qui dores un cheval et une pierre, qui prépares des peaux, telles que nous les voyons, si l’on te demande des explications, des comptes, que diras-tu ? De quelle manière t’y prendras-tu ? Est-ce que sur un lit, tel que tu le fais, le sommeil est plus doux ? Tu ne saurais le soutenir ? Et au contraire, si étrange que cela paraisse, il faut dire que le sommeil est moins agréable, parce que l’inquiétude est plus grande, plus grande l’anxiété. Est-ce que l’or donne plus de solidité aux objets qui en sont formés ? Mais nullement. Est-ce que la bonté du cheval résulte du frein fait de cette matière, ou encore, la bonté de l’esclave en dépend-elle ? C’est précisément le contraire qui se remarque. Pourquoi donc montrez-vous tant d’extravagance dans cet emploi de l’argent et de l’or ? Voici ce que vous direz : c’est que vous rehaussez par là votre considération ; vous n’avez donc pas entendu le commencement de ce discours ? Que la richesse ne constitue pas la gloire de l’homme ; que c’est tout le contraire, qu’elle lai prépare le déshonneur, les reproches, les accusations, le ridicule ; delà, l’envie et des maux sans nombre. Et plus les richesses persistent, plus les accusations s’obstinent et sont interminables. Ces magnifiques et splendides demeures sont des accusateurs implacables dont la voix accuse amèrement, même les possesseurs qui ont cessé de vivre. Le corps est confié à la terre, mais la vue des édifices superbes ne laisse pas ensevelir avec le corps, le souvenir de la cupidité ; chaque passant qui considère la hauteur, les vastes proportions de l’édifice, se dit en lui-même ou dit à son voisin