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trouble ; de là cette prière que nous apprenons « Ne nous induisez pas en tentation, mais délivrez-nous du mal. » (Mt. 6,13) Les combats sont variés, les mêlées se multiplient et il faut être prêt à tout. De même que celui qui se dispose à parcourir les mers, doit prévoir tous les caprices des vagues impétueuses, les souffles furieux, les nuages amoncelés, les récifs, les écueils, les irruptions des monstres de la mer, les incursions des pirates, la faim, la soif, tous les périls des flots, les disputes entre les marins, le manque de subsistances, tous les malheurs de ce genre, et se tenir prêt à combattre tout cela ; ainsi, celui qui va traverser l’orageux détroit de la vie présente, doit prévoir les souffrances du corps, les maladies de l’âme, les perfidies de la part de, l’homme, les attaques venant des ennemis ; les artifices des faux amis, la pauvreté, les tourments, les outrages, les phalanges des démons, la fureur de l’ange des ténèbres, et se préparer à y tenir tête, s’il est juste, s’il veut parvenir jusque dans la cité royale ; s’il veut, comblé de richesses, pousser son vaisseau dans le port.
Ici, le Psalmiste dit : « L’homme méchant ; » mais, quand il parle du démon, il dit simplement : « le méchant. » Pourquoi ? C’est que le démon est le père de la méchanceté. Voilà pourquoi on l’appelle, par excellence, le Méchant ; cet adjectif mis seul à la place de son nom propre le désigne assez, puisque aucune méchanceté n’égale celle qui est en lui, non par sa nature, mais par sa propre volonté. Si maintenant, vous tenez à savoir d’où vient le nom de méchanceté, vous en retirerez encore un grand profit. Les Grecs appellent la méchanceté πονηρία parce qu’elle apporte au méchant πόνον, de la peine, du chagrin. Voilà pourquoi un sage, exprimant cette pensée, dit : « Si tu es méchant, tu seras seul victime de ta méchanceté ; si au contraire, tu es bon, ce qui est bon, tu l’auras, et pour toi, et pour tes proches. » (Prov. 9,12) Et comment, me dira-t-on peut-être, le méchant est-il seul victime de sa méchanceté ? Combien d’hommes n’afflige-t-il pas par ses outrages ? le réponds qu’il ne peut nuire à qui ne s’endort pas dans la lâcheté, dans l’inaction. Et, si vous voulez, laissons de côté l’homme méchant ; prenons le méchant lui-même, le démon ; arrêtons sur lui nos regards. Dites-moi, n’a-t-il pas versé toute sa méchanceté sur Job ? Or, quel mal lui a-t-il fait ? N’a-t-il pas rehaussé sa gloire ? Ne s’est-il pas ménagé à lui-même une chute plus terrible ? Et maintenant Caïn ? N’a-t-il pas été seul victime de sa méchanceté ? Nullement, me répond-on, mais Abel avec lui. Comment et de quelle manière ? Parce qu’il a été rapidement lancé dans le port qu’aucun flot n’agite ; mais c’est une rare faveur pour lui, qu’après avoir fait le bien, il soit mort ; il ait payé, de la manière la plus avantageuse, la dette commune ; car ce qui lui était commun avec les autres hommes, ce que la nécessité lui réservait, lui est arrivé avec une ample récompense. Ce n’est pas là souffrir un malheur, mais se parer le front d’une plus belle couronne. Et quel mal les frères de Joseph lui ont-ils fait ? N’ont-ils pas été seuls victimes de leur méchanceté ? Mais, me répond-on, Joseph a été esclave, et après, moi, j’ajoute qu’il a été dans les fers ; mais la question n’est pas là, il ne s’agit pas de savoir s’il a été esclave et dans les fers, mais s’il en a éprouvé aucun dommage, et c’est le contraire que nous voyons ; car il y a trouvé le plus grand profit ; il a conquis de plus grands titres à l’affection particulière du Seigneur. Et ce qui paraissait contrarier sa fortune, lui a valu le bonheur dans la vie présente.
Donc, ne craignons pas les méchants, mais prenons-les en pitié. On pouvait les craindre, lorsqu’on ne connaissait pas encore la voie élevée qui conduit à la sagesse ; mais aujourd’hui, ils ne sont plus à craindre, puisque désormais les cieux nous sont ouverts, et que les hommes sont devenus des anges. La bête qui, d’un bond impétueux, s’élance sur la pointe du fer, paraît se venger de celui qui le tient ; mais elle se fait à elle-même une grave blessure, et, pareillement, qui regimbe contre l’aiguillon, s’ensanglante les pieds.
2. Telle est la vertu ; c’est un aiguillon, c’est la pointe d’un glaive, et tous les méchants sont pires que les bêtes féroces, et plus qu’elles, dépourvus de raison. Ainsi, quand ils se ruent contre les gens de bien, ils se transpercent profondément eux-mêmes. Aux gens de bien ils font souvent du tort, soit dans leur argent, soit dans leur personne ; mais ils se blessent eux-mêmes dans l’âme, et c’est là le vrai tort, le vrai dommage. En effet, si les pertes d’argent nous attaquaient dans notre propre vertu, Paul ne nous aurait pas prescrit de souffrir l’injure sans la rendre ; si c’était un mal que d’être atteint par l’injustice. Celui, dont les