Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 6, 1865.djvu/221

Cette page n’a pas encore été corrigée

s’écrient : Comment donc ? c’était le plus doux des hommes, celui qui se jeta sur cet Égyptien, et le tua ? celui qui sema parmi les Juifs tant de meurtres et de guerres intestines ? celui qui donna ordre aux enfants de Lévi de mettre à mort leurs proches ? celui qui entr’ouvrit la terre par sa prière, qui attira d’en haut la foudre, engloutit les uns dans la mer, et en brûla d’autres ? Si cet homme était doux, quel sera donc l’homme colère et cruel ? Arrêtez : ne tenez point de discours superflus. Que Moïse fût doux, qu’il fût le plus doux des hommes, c’est ce que je prétends, c’est ce dont je ne me départirai point ; et si vous voulez, je n’irai pas chercher ma preuve autre part, je tâcherai de la trouver dans les faits mêmes que l’on objecte. Je serais pourtant bien en droit d’alléguer, et le langage qu’il tint à Dieu au sujet de sa sœur, et les supplications qu’il adressa au ciel en faveur de la nation juive, tant de paroles apostoliques et divines, la mansuétude enfin avec laquelle il conversait avec le peuple. Il me serait permis de citer ces exemples, et d’énumérer bien d’autres faits encore ; mais si vous le voulez, laissons-les de côté, et, nous servant des propres objections de nos ennemis, rapportées en premier lieu, montrons qu’il était très-doux, parles raisons même qui font croire à certaines gens qu’il était rigide, cruel et colère. Comment procéderons-nous ? Nous distinguerons d’abord, et nous définirons ce que c’est que la douceur, ce que c’est que la dureté. Le seul fait de frapper ne constitue pas absolument, la dureté, comme celui d’épargner ne prouve pas nécessairement la douceur ; celui-là est doux qui, assez courageux pour supporter les offenses qui lui sont faites, défend les opprimés, et se conduit en, vengeur sévère de ceux que l’on outrage ; si bien que quiconque agit autrement est un homme apathique, endormi, un homme autant dire mort, mais il n’est point doux, il n’a point la, mansuétude. N’avoir aucun souci des victimes de l’injustice, ne pas s’affliger de leur sort, ne point s’irriter contre les auteurs de ces outrages, ce n’est pas là de la vertu, c’est de la lâcheté ; ce n’est pas de la douceur, c’est de l’apathie. Ainsi, c’est précisément une preuve de sa douceur que cette chaleur qui allait jusqu’à le faire bondir quand il voyait les autres injustement traités, incapable qu’il était de maîtriser son indignation en faveur de la justice. Quand c’était lui l’offensé, il ne se vengeait pas, il ne sévissait pas, il supportait tout jusqu’au bout avec résignation. S’il avait été dur, colère, cet homme si bouillant, si enflammé pour la défense d’autrui, n’aurait pas pu se contenir pour ses griefs personnels ; on l’eût vu au contraire s’irriter alors bien davantage. Car vous le savez, nos propres maux nous affectent plus que ceux des autres. Moïse, lui, quand on faisait tort à autrui, tirait vengeance de l’injure à l’égal de ceux mêmes qui l’avaient soufferte ; mais quant aux offenses dont lui-même était l’objet, il en faisait le sacrifice avec une grande patience ; de sorte qu’il montrait en, lui, portées au plus haut point, les qualités opposées, la haine de l’iniquité d’une part, et de l’autre la longanimité. Et que devait-il donc faire, selon vous ? Laisser l’injustice se commettre, et le mal se répandre par tout le peuple ? Mais ce n’était pas là le devoir d’un chef de nation, ni le fait d’un homme patient et longanime ; cela n’eût dénoté que l’apathie et l’abattement. Quand la gangrène s’étend et menace d’envahir le corps entier, vous ne blâmez pas le médecin qui en arrête les progrès par l’amputation : et vous dites qu’un homme fut la dureté même, parce qu’il voulut par un coup d’une certaine rigueur, retrancher un mal bien plus cruel que la gangrène et qui allait gagnant tout le peuple ? Jugement inconsidéré, car à la tête d’un peuple pareil, pour mener une nation si intraitable, si dure et si rétive, il fallait réprimer les abus dès le principe, couper le mal à sa naissance, pour ne pas lui permettre d’aller plus avant. Mais, dira-t-on, il a englouti Dathan et Abiron. Eh quoi ! Fallait-il donc qu’il laissât fouler aux pieds le sacerdoce, renverser les lois de Dieu, détruire ce dont toutes choses dépendent, c’est-à-dire la dignité sacerdotale ; fallait-il qu’il ouvrît à tout le monde le sanctuaire, et que, par sa faiblesse à l’égard de tels hommes, il livrât les enceintes sacrées à quiconque eût voulu y porter ses pas sacrilèges ; fallait-il enfin que l’ordre fût partout boule versé ? C’est là surtout ce qui eût été un acte, non de douceur, mais d’inhumanité et de cruauté, de laisser un si grand mal s’accroître, et, pour épargner deux cents hommes, d’eau perdre tant de milliers. En effet, répondez, lorsque Moïse ordonna aux enfants de Lévi de massacrer leurs proches, qu’aurait-il fallu faire ? Dieu était irrité, l’impiété allait croissant