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ceux qui souvent sont au-dessous de leurs propres esclaves.
J’admets encore la gloire, les richesses, la santé, il faudra que vous y ajoutiez la sécurité, ou bien cet heureux du siècle en butte aux intrigues, à l’envie, à la malveillance, à la haine, aux accusations calomnieuses, sera le plus infortuné, passant sa vie à trembler comme un lièvre, se déliant de son ombre et regardant tout le monde avec effroi. Mais aucun de ces inconvénients n’existe : notre homme est aimé de tous, tout lui réussit à souhait ; à lui la gloire, les richesses, la sécurité, les honneurs (choses qui ne sauraient aller ensemble ; mais supposez-les un instant réunies). Eh bien ! quoique la prospérité l’inonde, que rien ne lui résiste, que l’amour de ses semblables, la santé du corps, une paix parfaite, la victoire et la domination sur tous concourent à son bonheur, je le vois cependant plus à plaindre que ceux qui n’ont rien de tout cela, parce qu’il est uni à une femme méchante et perverse. Mais sa femme est parfaite et selon ses désirs, seulement ses enfants sont mauvais ; et alors comment voulez-vous qu’il ne soit pas le plus infortuné ? Ou bien, il n’en a point et pour le coup il pleure et se lamente. Et c’est ainsi qu’en considérant chacune des choses humaines on ne rencontre que misères. À quoi bon poursuivre cet examen ? – Souvent il suffit d’un serviteur pervers pour tout bouleverser, tout confondre, en sorte que rien n’est si peu stable due la gloire qui vient des hommes.
Que bien différent est celui qui craint Dieu. A l’abri des flots tumultueux (lui monde il reste assis au port, où il jouit d’une véritable et solide félicité. Aussi le Prophète ne voit que lui à proclamer bienheureux. C’est que la félicité du monde n’est parfaite qu’autant que tout contribue à la procurer ; et même malgré ce concours, elle est bientôt ébranlée par les choses même qui ont servi à la former. C’est la fortune qui a subi un échec, c’est une épouse, souvent fort belle, qui vous est ravie par la mort ; ce sont des serviteurs qui vous ont trahi ; des fils qui ont été parricides ; enfin, comme je l’ai déjà dit, ce bonheur n’offre partout qu’incertitude et déception. Pour celui qui craint Dieu, au contraire, quand tout s’élèverait contre lui, non seulement sa félicité n’en recevrait aucune atteinte, mais elle en deviendrait plus solide et plus durable. Ni la pauvreté, ni l’ignominie, ni les difformités corporelles, ni la malice d’une épouse, ni la perversité des enfants, rien en un mot de tout ce qu’on peut imaginer, ne saurait affaiblir ni altérer ce bonheur. Comme il ne repose sur aucun de ces objets, leur ruine ne saurait l’atteindre : c’est au ciel qu’il prend sa source, et voilà ce qui le rend inattaquable. Mais si vous le voulez, confirmons par des exemples, ce que nous avançons. Voyez Joseph : il est esclave, sur une terre étrangère, loin de sa patrie, au pouvoir des barbares, des Sarrasins d’abord, puis des cruels Égyptiens ; il est accusé d’adultère, mis en jugement, exposé aux calomnies, jeté en prison, chargé de fers. Quelle atteinte reçoit-il de toutes ces épreuves ? – Aucune ; elles sont pour lui au contraire une source de bonheur. Et ce qui est surtout admirable, comme je vous l’ai déjà observé, c’est que non seulement les adversités ne sauraient porter atteinte à cette félicité, mais elles la rendront plus éclatante. Car, sans les circonstances dont nous venons de parler, Joseph n’eût pas été aussi heureux.
2. Faut-il vous parler maintenant de ceux qui, après s’être plongés dans le vice, ont été subitement transformés et se sont dépouillés de toutes leurs iniquités ? Quoi de plus misérable que le bon larron ? – Et dans un instant il devint le plus heureux des mortels. Cependant il avait commis une foule de meurtres qui lui avaient valu le supplice de la croix et il était prêt de mourir : tous l’accusaient ; tout son temps s’était consumé, toute sa vie s’était passée dans le crime ; mais pendant un court moment il craignit Dieu comme il fallait, et il devint heureux. La pécheresse publique avait fait de sa beauté un trafic honteux, elle s’était livrée aux outrages de tous, ce qui en avait fait la dernière des créatures, mais elle fut heureuse à L’instant où elle craignit Dieu comme il fallait. C’est qu’il n’y a aucun mal qui ne disparaisse devant la crainte du Seigneur. De même que le feu rend brillant et beau le fer, quelque tortueux et souillé qu’il soit, en enlevant la rouille et en corrigeant complètement tous les défauts, ainsi la crainte de Dieu opère en un clin d’œil les mêmes transformations et aucun événement ne peut abattre ceux qui sont sous sa protection. Timothée n’était-il pas faible, continuellement exposé aux maladies et à la souffrance ? Qui fût plus heureux que lui cependant ? Et Job ? –