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n’est employé ici que pour marquer la tendresse particulière qu’il avait pour les Juifs, comme valant mieux, il faut bien le croire, que les autres hommes. En effet, qu’il ne les choisit pas à l’exclusion des autres, que sa sollicitude demeura toujours universelle, c’est ce que montrent et les faits d’avant Moïse, et tout ainsi bien ceux qui arrivèrent de son temps ; enfin ceux qui se passèrent successivement après lui. Le soleil, la terre, la mer, tout le reste fut donné à tous en commun par le Seigneur ; chez tous il implanta pareillement la loi naturelle. Abraham était perse[1] : Dieu l’aima, le fit, changer de pays, il se servit de lui pour corriger les Égyptiens, les habitants de Chanaan, ceux qui venaient de la Perse ; de son fil et de son petit-fils pour rendre meilleures, autant qu’il lui appartient, beaucoup de peuplades voisines. Après la naissance de Moïse, il achemina les Égyptiens à la doctrine sainte par sa conduite envers les Juifs ; de même les habitants de la Palestine, et ensuite ceux de Babylone : Ainsi, en disant : « Le ciel du ciel est au Seigneur », le Psalmiste entend que le Seigneur se complaît, dans les habitants de ce séjour, parce qu’ils sont exempts de toute iniquité. Et vous-même, si vous ne restez pas attaché à la terre, si vous devenez un ange, vous monterez promptement au ciel et dans la maison paternelle ; même avant le jour de la résurrection, vous voilà émigré d’ici-bas, et promu aux honneurs. Car de même que beaucoup de sénateurs conservent leur dignité, quoique vivant à la campagne ; de même si vous voulez devenir citoyens du ciel, même en vivant ici-bas, vous jouirez de cette dignité. « Les morts ne vous loueront pas, Seigneur, ni tous ceux qui descendent dans l’enfer (25). »
« Mais nous les vivants, nous bénirons le Seigneur dès maintenant et dans tous les siècles (26). » Par « morts » il n’entend pas ici les trépassés, mais ceux qui sont décédés dans l’impiété, ou ceux qui ont vieilli dans le péché. Abraham, Isaac, avaient déjà fini leurs jours, qu’ils vivaient encore, en ce sens que leur méritoire était honorée par les vivants. Quand Moïse prie pour le peuple placé sous sa conduite, il se sert de leurs noms pour émouvoir Dieu, il les adjoint à sa supplication. C’est encore en leur nom, que les trois enfants sollicitent leur délivrance. « Ne détournez pas votre miséricorde de nous, à cause d’Abraham qui fut aimé de vous, d’Isaac votre serviteur, et d’Israël votre saint. » (Dan. 3,35) Comment les appeler morts, eux qui jouissaient d’un pareil pouvoir ? Le Christ a dit : « Laissez les morts ensevelir leurs morts. » (Mt. 8,22) C’est pour cela que Paul appelle les défunts non pas les morts, mais : « Les endormis : Je ne veux pas que vous ignoriez », dit-il, « mes frères, au sujet des endormis. » (1Thes. 6,12) Car le juste même trépassé n’est pas mort, il n’est qu’en état de sommeil. Celui qui doit être envoyé dans une vie meilleure, n’est qu’endormi : celui qui doit être traîné à la mort éternelle, celui-là est mort, qu’il soit défunt ou en vie. Les uns descendent dans l’enfer, les autres monteront au ciel, et seront avec le Christ. Aussi le Prophète ne dit-il pas simplement : les vivants, mais « Nous les vivants », se désignant ainsi lui-même. Et d’où vient cette addition ? De ce que Paul s’est exprimé de même en disant « Nous les vivants, nous qui restons, nous n’arriverons pas les premiers en la présence du Seigneur. » (1Thes. 4,16) De même qu’ici, ce mot « Nous » ne permet pas d’appliquer la phrase à tout le monde, mais seulement aux fidèles, à ceux qui imitent la conduite de Paul, ainsi dans notre texte : « Nous les vivants », doit s’entendre de ceux qui vivent dans la vertu, à la façon de David. « Dès maintenant et dans tous les siècles. » Voyez-vous comme la suite confirme cette interprétation, à savoir, qu’il parle de ceux qui vivent selon la vertu ? Personne ne vit ici-bas jusque dans l’éternité, c’est le privilège de ceux-là seuls, comme destinés à une immortalité glorieuse. Les pécheurs vivent aussi ; mais c’est dans les tourments, les supplices, les grincements de dents : les autres vivent dans tout l’éclat de la gloire, et leur seule occupation est d’offrir à Dieu les hymnes mystiques avec les puissances incorporelles. Tâchons d’obtenir cette vie afin de goûter le même bonheur, afin d’entrer en possession du partage que rien ne peut représenter, pas plus l’esprit que la parole, et dont l’expérience seule peut révéler les délices, desquelles puissions-nous tous jouir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui gloire et puissance, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.


  1. Saint Chrysostome désigne par ce nom les Chaldéens, ainsi que dans d’autres passages Abraham venait de la Chaldée.