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double conclusion. En effet, si le Seigneur est miséricordieux, s’il accorde souvent aux pécheurs leur pardon, à plus forte raison ne souffrira-t-il pas que les justes s’en aillent sans couronne. Que s’il ne leur donne pas ici-bas leur récompense, il le fera certainement là-haut. Il ajoute « et juste » : s’il est juste, comme il l’est en réalité, il rendra à chacun selon ses œuvres, quand bien même cette rétribution n’aurait pas lieu en ce monde : et c’est même la plus forte preuve que nous ayons de la résurrection. En effet, lorsque tant d’hommes de bien ont eu à endurer mille maux, lorsque tant de pervers ont vécu dans une complète impunité, que deviendrait cette justice promise à chacun sans une résurrection, sans une autre vie, un jugement, une rétribution ? Ensuite, après avoir effrayé son auditeur par cette mention de la justice, lui avoir inspiré la crainte de voir ses péchés soumis à une enquête, il se hâte d’adoucir cette crainte, en ajoutant : « L’homme qui est sensible à la compassion et qui prête est bon : il réglera ses discours au jugement (5). »
4. Voyez quelles palmes il promet à l’homme charitable : le fruit de sa bonté est éternel ; les tentations ne l’assiégeront pas ; il imitera Dieu qui est lui-même un Dieu de miséricorde : il recevra le pardon de ses péchés. Car c’est ce que signifie « il réglera ses discours au jugement. » C’est-à-dire il trouvera un avocat, il aura les moyens de se défendre. Il ne sera point frappé de condamnation, grâce à la miséricorde qui plaidera éloquemment pour lui. Un autre interprète dit : « Réglant ses affaires avec jugement. » Cela veut dire qu’il jouira d’une félicité parfaite, qu’il ne fera aucune entreprise coupable : tant sa conduite sera habile. – Tout au contraire l’homme cruel, inhumain, sans miséricorde, est tout à fait incapable de diriger ses affaires. En effet, quoi de plus triste que d’épargner son argent, quand on voit son âme en péril, et de ne pas songer à celle-ci ? Voilà pourquoi le Christ a loué cet intendant qui, se voyant en danger, diminua des créances. – Eh bien ! si lorsqu’il s’agit de la vie présente, on peut abandonner tous ses biens pour se racheter du péril, quand on est menacé du châtiment éternel, comment ne serait-il pas absurde de ne point recourir à la même précaution ? Voilà pourquoi le Psalmiste appelle bande économe l’homme compatissant qui donne peu pour avoir beaucoup, de l’argent pour avoir le ciel, qui sacrifie un vêtement pour obtenir un royaume, un pain et de l’eau fraîche, afin de participer aux biens de la vie future. En effet, conçoit-on une administration plus intelligente que celle qui abandonne des biens périssables, fugitifs, éphémères, pour entrer en possession d’impérissables trésors, et par le même moyen, de la sécurité dans la vie présente ? De là ces paroles : « Il réglera ses discours au jugement ; » ou suivant l’autre interprétation : « Réglant ses actions avec jugement. » De quel jugement est-il ici question ? Est-ce du jugement dernier ? Ou bien cela veut-il dire qu’il arrangera bien ses affaires, que nul désordre ne s’y fera remarquer, que chaque chose sera à sa place, que tout marchera en bon ordre et avec méthode, sans confusion, sans embarras, grâce au secours fourni par la miséricorde ? C’est ce qu’indique plus clairement le second interprète, en disant : « Réglant ses actions avec jugement. » En effet, c’est l’homme miséricordieux qui règle ainsi ses affaires ; tandis que l’autre est incapable d’administrer, de faire fortune. « Parce qu’il ne sera jamais ébranlé (6). » Que peut-on comparer à l’administration d’un homme qui trouve un pareil moyen de se mettre à l’abri des dangers imprévus, d’échapper aux orages de la vie, de se dérober à toutes les chances ordinaires de la condition humaine, ou, s’il y reste en butte, de ne pas y succomber ? Ce qu’il y a d’étonnant, en effet, c’est que l’assaut des tentations ne puisse l’abattre ni l’ébranler. Mais quoi ? N’a-t-on pas vu beaucoup d’hommes compatissants servir de jouets a la tempête ? Jamais. Ces hommes ont pu devenir pauvres, tomber au dernier degré de l’indigence, être précipités dans l’infortune : néanmoins ils n’ont pas succombé, parce qu’ils se sont rappelé leurs actions, parce qu’ils ont su attirer sur eux la protection et la faveur divines, parce qu’ils ont su trouver dans leur bonne conscience une ancre forte et assurée. Aussi le Psalmiste ne dit-il point qu’ils ne seront pas attaqués, mais bien qu’ils ne seront pas ébranlés. C’est ainsi que le Christ, en parlant de l’homme qui bâtit sur la pierre, ne dit pas qu’il ne sera point assailli par la tempête, mais seulement que les efforts mêmes de la tempête seront impuissants contre lui. Et ce qu’il y a justement d’admirable, c’est que sa sécurité, au lieu d’être due uniquement à l’absence de tentations, subsiste invariablement