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à son ennemi et dit : « Parce qu’il ne s’est pas souvenu de faire miséricorde (16), et qu’il a poursuivi un homme pauvre, mendiant, au cœur contrit et mortifié (17). » Former de mauvais desseins et surtout les former contre l’homme qui devrait, au contraire, exciter notre compassion et notre sympathie, voilà le dernier degré de la cruauté, le comble de l’inhumanité. Un tel homme a pris les sentiments de la bêle féroce, ou plutôt il est devenu plus cruel encore que la bête féroce, chez qui la férocité est un instinct, tandis que lui, qui a eu l’honneur de recevoir la raison en partage a prostitué au vice sa noble nature. La bête féroce montre une certaine affection, une certaine douceur pour celles qui sont de son espèce et de sa famille, mais ces gens-là, loin de respecter cette loi commune établie par la nature, attaquent et renversent celui dont ils devraient avoir pitié, qu’ils devraient aider et redresser. « Et il a aimé la malédiction, et elle le frappera, et il n’a pas recherché la bénédiction, et elle s’éloignera de lui (18). » Après lui avoir souhaité beaucoup de malheurs, il montre qu’il faut en rapporter la cause première non pas à lui-même, mais à son ennemi, à celui qui, par ses actions, s’est privé de la faveur de Dieu et s’est exposé aux coups de sa vengeance. « Et il s’est revêtu de la malédiction comme d’un vêtement, et elle a pénétré dans ses entrailles comme de l’eau, elle a pénétré dans ses os comme de l’huile. » Le Prophète s’exprime ainsi pour nous faire comprendre que le pécheur sera frappé d’un coup terrible et qu’il s’expose à d’éternels châtiments, et il nous fait voir que tous les hommes doivent leurs malheurs à eux-mêmes et à leur propre volonté, puisque par leurs actions et leur conduite ils éloignent d’eux les biens qui les attendaient, pour attirer sur leur tête la vengeance de Dieu. « Qu’elle soit comme le vêtement dont il se couvre, et qu’elle soit a comme une ceinture dont il sera toujours enveloppé (19). »
Ce qu’il dit est pour nous montrer l’indicible colère de Dieu s’attachant à de tels hommes, et peut se ramener à ces termes : le malheur s’en emparera si bien qu’ils ne pourront pas même changer leur condition, il les pénétrera profondément, il y demeurera indestructible. Ensuite, afin de nous prouver que c’est la méchanceté qu’il châtie et le vice qu’il redresse, et que ce n’est pas seulement contre l’homme dont il a à se plaindre, mais encore contre ceux qui ont à rendre compte de semblables méfaits, que sera portée cette condamnation : il ajoute : « Tel est le salaire réservé à ceux qui se font mes détracteurs par-devant le Seigneur (20). » C’est-à-dire, voilà le châtiment, voilà la condamnation réservée à ceux qui s’élèvent contre moi, à ceux qui me tendent des embûches, à ceux qui me combattent comme un ennemi, « et à ceux qui blasphèment contre mon âme. » Les paroles sont donc punies, et punies très rigoureusement.
4. Après avoir terminé ce qu’il avait à dire sur son ennemi, il se réfugie de nouveau auprès de Dieu pour invoquer sa protection. Il ne se contente pas d’indiquer le châtiment destiné à ceux qui le poursuivent de leurs mauvais desseins ; il montre aussi que les victimes des méchants ont un vengeur et qu’une protection puissante leur est assurée, et il ajoute. « Et vous, Seigneur, agissez pour moi à cause de votre nom (21). » Voyez sa pitié et sa reconnaissance, voyez son humilité. Et cependant il avait dans ses souffrances un motif légitime à taire valoir pour obtenir l’assistance divine : en effet, on peut voir en plusieurs endroits de l’Écriture que ceux qui ont été injustement maltraités par les hommes ont plus de droits à réclamer la protection de Dieu. Mais lui néglige cet avantage, n’a recours qu’à la bonté de Dieu, et dit : « Agissez pour moi, à cause de votre nom. » C’est presque comme s’il disait : non pas parce que je le mérite, mais à cause de vous-même parce que vous êtes clément et miséricordieux. C’est pourquoi il ajoute : « Parce que votre miséricorde est pleine de douceur. » Il n’en est pas souvent ainsi de la miséricorde des hommes : il arrive parfois qu’elle nuise à ceux qui en sont l’objet et qu’elle est la cause de leur perte. La miséricorde de Dieu, au contraire, s’exerce toujours à notre avantage. « Délivrez-moi, car je suis pauvre et mendiant, et mon cœur est troublé au dedans de moi (22). » Le voyez-vous encore qui demande à être sauvé, non parce qu’il en est digne, non parce que c’est juste, mais parce qu’il est tout à fait abattu, qu’il est accablé, qu’il a eu mille et mille maux à supporter ? « Et mon cœur est troublé au dedans de moi. » Telle est la puissance du malheur non seulement il a prise sur notre corps, mais encore il porte le trouble dans notre âme. –