Page:Chrysostome - Oeuvres complètes, trad Jeannin, Tome 11, 1867.djvu/63

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

affligé. Elle était si grave et de telle nature qu’elle le chassait de sa maison et de toute habitation humaine. Si ce n’avait été une maladie incurable, on n’eût pas vu le patriarche assis hors de la ville, et dans des conditions pires que les malheureux que la lèpre dévore. Ceux-ci, du moins, trouvent une demeure et se rassemblent entre eux. Mais lui, à l’injure du temps, sur un fumier, passait ainsi nuit et jour et ne pouvait même se couvrir d’un vêtement. Comment l’eût-il essayé ? Sa douleur en devenait plus aiguë. « Je creuse la terre », disait-il, « et j’irrite mes plaies saignantes ». (Job. 7,5) Ses chairs se fondaient en pourriture, fourmillaient de vers, et cela continuellement. Rien qu’à entendre ces horreurs, ne sentez-vous pas comme chacun frissonne ? Et s’il est presque intolérable d’en ouïr le récit, combien plus l’était-il de les subir ? Il les subit cependant, cet homme juste, et non pas un jour ou deux, mais longtemps ; et ses lèvres ne commirent point de péché. Quelle maladie semblable pourriez-vous me citer ? Quel mal fut plus fécond en souffrances ? N’était-il pas pire que la perte de la vue ? J’infecte mes aliments, s’écrie-t-il ; la nuit non plus que le sommeil, soulagement de toute âme qui souffre, ne m’apporte aucune consolation ; elle est pour moi une douleur de plus. Voici, du reste, ses paroles mêmes : « Mon Dieu, pourquoi m’effrayez-vous par d’horribles rêves, pourquoi suis-je le jouet de visions cruelles ? Et quand l’aurore vient, je me dis : Quand donc tombera la nuit ? » (Job. 7,14) Malgré tant et de si grands maux qui l’accablent, il ne murmure jamais. Nouvel et atroce ennui : la multitude avait conçu contre lui les plus tristes idées. Ces calamités qui le frappaient faisaient croire qu’il était coupable de crimes sans nombre. Ses amis lui répétaient : Vos souffrances n’ont pas encore atteint la mesure de vos péchés ! Lui-même ajoutait : « Je m’entends blâmer par des hommes de rien, que j’estimais moins que les chiens de mes bergers ». (Job. 30,1) Une telle honte n’est-elle pas pire que mille morts ? Et cependant, ce naufragé battu par tant de vagues, en proie à une si horrible tempête, demeure calme, immobile au milieu des nuées, parmi les vents, les foudres, les tourbillons et les gouffres ; l’ouragan, si redoutable, ne paraît être pour lui qu’un port tranquille, et l’on n’entend point ses murmures. Tant de courage se déployait avant notre loi de grâce, avant la claire prédication de la résurrection, de l’enfer, de ses peines et de ses supplices. Et nous qui avons entendu prophètes, apôtres, évangélistes, exemples à l’infini ; nous qui avons appris les preuves de la résurrection pour nous si évidentes, nous n’en sommes pas moins impatients, bien que nul d’entre nous ne soit éprouvé par tant et de si grandes calamités. Un tel a fait une perte d’argent, mais il n’a pas perdu et ses fils et ses filles ; et son malheur peut-être est la punition de ses péchés. Job voit périr les siens tout à coup, pendant les sacrifices qu’il offre à Dieu, à l’heure même où il lui rend ses hommages et son culte. Supposez même qu’un chrétien ait vu s’abîmer à la fois et ses richesses et sa famille, ce qui est presque impossible : au moins ne voit-il pas tout son corps se résoudre en vers dévorants et se fondre en corruption. Accordons qu’il ait même ce dernier malheur : du moins ne trouve-t-il pas et ces insultes et ces outrages qui, d’ordinaire, nous semblent être les maux les plus poignants, et nous désolent plus que nos malheurs mêmes. Car si dans nos misères profondes, lorsque nous trouvons des amis pour nous consoler, pour adoucir nos peines et nous inspirer quelques bonnes espérances, nous sommes cependant encore si brisés, si découragés : imaginez quel devait être le supplice de Job, quand il ne trouvait que des insulteurs. Oui, si le prophète nous signale un malheur grave et incomparable dans ce trait du psaume : « J’ai attendu un ami pour pleurer avec moi, et personne n’est venu pour me consoler, et je ne l’ai point trouvé » (Ps. 68,21) : à quelle extrémité était donc réduit celui qui, au lieu de trouver des consolateurs, ne rencontrait que des insulteurs, et s’écriait : « Vous n’êtes tous que d’onéreux consolateurs ! » (Job. 16,2) Ah ! si de pareils souvenirs nous occupaient sans cesse, si tels étaient nos raisonnements, aucun événement du siècle présent ne nous accablerait de douleur ; nos regards se porteraient sur cet athlète, sur cette âme de diamant, sur ce cœur de bronze que rien ne pouvait entamer ; on eût dit, en effet, qu’il avait revêtu un corps de rocher et d’airain, tant il souffrait avec patience et générosité.
4. Armé de ces pensées, agissons toujours sans murmures, sans hésitation. Vous faites quelque bien et vous murmurez ? Pourquoi ?