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et d’une juste honte ; le pharisien au contraire s’exalte lui-même… Mais, je l’ai dit, laissons les exemples de personnes, étudions plutôt la nature des choses.
Supposez donc, en général, deux individus, également bien dotés du côté de la fortune, des honneurs, de la science, de la puissance, de tous les biens de ce monde, enfin, et connaissant d’ailleurs tous leurs avantages. L’un des deux, toutefois, mendie encore les éloges de chacun, et s’irrite, quand on les lui refuse, toujours insatiable dans son ambition, toujours enflé de lui-même et de son mérite. L’autre méprise tout ce vain attirail de la gloire, n’y trouve sujet de quereller personne, et repousse même les honneurs qu’on lui défère. À votre avis, lequel des deux est le plus grand, de celui qui mendie les honneurs, sans pouvoir les gagner, ou de celui qui les refuse quand même on les lui offre ? C’est bien l’homme qui dédaigne, n’est-ce pas ? Oh ! oui, il est vraiment grand ; car le vrai moyen d’acquérir la gloire, c’est de la fuir. Poursuivez-la, elle vous fuit ; fuyez-la, elle vous poursuit. Si vous voulez y parvenir, ne la désirez point ; si vous voulez grandir, ne vous portez pas vous-mêmes vers les hauteurs. Il est d’ailleurs une raison qui nous fait honorer l’homme humble et sans ambition, et prendre en aversion les poursuivants de la gloire : les hommes aiment naturellement la contradiction ; ils se plaisent à faire le contraire de ce qu’on veut.
Ainsi, méprisons la gloire ; s’humilier c’est s’élever. Pour que les autres vous élèvent, ayez soin de ne pas vous élever vous-mêmes. Qui s’exalte ne sera point exalté par les autres ; qui s’abaissera ne sera pas abaissé par les autres. L’orgueil est un grand vice. Mieux vaudrait être insensé qu’orgueilleux : l’idiotisme est une infirmité de nature ; l’orgueil est une folie pire, c’est souvent folie et fureur tout ensemble. Le pauvre fou ne nuit qu’à soi ; l’orgueilleux est la plaie de ses frères. Cette maladie de l’orgueil est, d’ailleurs, enfantée par la démence ; à moins de délirer, nul au monde ne peut concevoir de soi-même une haute estime : le fou achevé est toujours arrogant. Le sage le déclare : « J’ai vu un homme se croire sage : on peut encore mieux espérer d’un insensé ». (Prov. 26,12) Vous voyez que je ne me suis pas aventuré en disant que ce vice est pire que la folie ; car, selon l’Écriture, l’insensé doit donner plus d’espoir.
Aussi saint Paul disait : « Ne soyez point sages à vos propres yeux ». (Rom. 12,16) À l’égard des corps, quels sont ceux qui nous paraissent les mieux portants ? Sont-ce les chairs gonflées, que boursouflent les gaz et les humeurs aqueuses, ou plutôt celles qui présentent fermeté et consistance ? Celles-ci, répondez-vous. Il en est ainsi de l’âme : avec l’orgueil, elle se gonfle plus dangereusement que vos membres par l’hydropisie ; par l’humilité, elle est saine.
6. Mais quels biens nous procure l’humilité ? Que souhaitez-vous ? La patience, la douceur, l’humanité, la continence, la docilité ? toutes ces vertus naissent de l’humilité, et tous les vices contraires, de l’orgueil. L’être orgueilleux sera nécessairement enclin à insulter, à frapper, à se montrer colère, âpre, chagrin, une bête féroce enfin plutôt qu’un homme. Robuste et fort, vous en êtes fier ? Vous devriez plutôt en être honteux. Comment vous enorgueillir, en effet, d’une qualité sans valeur aucune ? Plus que vous, en effet, le lion a l’audace, le sanglier, la force ; près d’eux, vous n’êtes pas même un moucheron. Brigands, violateurs de sépultures, gladiateurs, que dis-je ? vos propres serviteurs mêmes, et parmi eux encore ceux peut-être qui sont les plus stupides, vous surpassent pour la vigueur physique. Est-ce donc un sujet de gloire ? ne devriez-vous pas plutôt vous cacher de honte, si tel est le sujet de votre orgueil ? – Mais peut-être êtes-vous beau et joli ? Laissez aux corneilles cette vanterie ; vous n’égalez certes pas la beauté du paon, rien qu’à voir l’éclat de ses couleurs et la magnificence de son plumage ; la victoire est à cet oiseau, qui certes est mieux coiffé, mieux brillanté. Le cygne encore et bien d’autres volatiles, si vous osez accepter la comparaison avec eux, vous apprendront à n’être pas fier ; de plus les enfants et les jeunes filles, les femmes perdues, les infâmes se glorifient de ces vanités. Y a-t-il donc là un juste sujet d’orgueil ? – Mais vous êtes si riche ! Eh ! de quoi, dites-le-moi ? Avez-vous de l’or, de l’argent, des pierres précieuses ? C’est aussi la gloire des voleurs, des assassins, des gens condamnés aux mines. Ce qui fait la honte de ces criminels sera pour vous un sujet d’ostentation ? – Mais la toilette, mais la parure vous embellissent. – Vous avez cela de commun avec vos chevaux ? Les Perses font mieux : ils vous montreraient jusqu’à des chameaux richement