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d’une patience destinée ici-bas à souffrir sans jamais jouir : tels furent Abraham et Abel ; tantôt, vous admirez, comme en Noé, des modèles de la foi en Dieu et en sa Providence rémunératrice. Car le mot de « foi » présente des acceptions différentes, et signifie tantôt une chose, tantôt l’autre. Dans le fait de Noé, la foi s’allie à l’idée de récompense, à l’espérance qu’il y aura des retours heureux, mais qu’il faut combattre avant d’être récompensé. Les événements de la vie de Joseph appartiennent à la foi pure, du moins pour la promesse si expresse de Dieu faite à Abraham : « Je vous donnerai cette terre ainsi qu’à vos descendants ». Joseph la connaissait, cette promesse ; et bien que résidant sur une terre étrangère, bien qu’il ne vit point se réaliser la prédiction, loin de se permettre le découragement, il eut la foi assez ferme et forte pour annoncer la sortie de l’Égypte, et commander qu’on emportât ses os hors de ce pays. Non content de croire pour son compte personnel, il redoublait la foi dans ceux de sa famille, voulant qu’ils se souvinssent toujours de leur sortie prochaine, et leur parlant même, au sujet de sa dépouille mortelle, avec la persuasion intime de ce grand événement, puisque sans cette attente qu’il leur donnait de la sortie d’Égypte, il n’aurait pas fait une semblable recommandation.
C’est, au reste, la réponse à l’objection que font quelques personnes : Voyez, disent-elles, que les justes eux-mêmes se sont occupés de leur monument funèbre ! – Ils s’en sont occupés pour la raison que j’ai dite, et non autrement. Ils savaient « que la terre et toute sa plénitude appartiennent au Seigneur ». (Ps. 23,1) Moins que personne, il ignora cette vérité, le patriarche qui vécut dans les plus hautes régions de la sagesse, et qui d’ailleurs passa presque toute sa vie en Égypte, d’où par conséquent il aurait pu sortir et regagner son pays, et non pas y rester avec des pleurs, des larmes et des regrets ; et moins encore y faire venir son père. Pourquoi, au contraire, n’y voulait-il pas même laisser sa propre dépouille mortelle ? N’est-ce pas uniquement pour cette raison de foi ?
2. Répondez-moi, d’ailleurs. N’est-il pas vrai que les os de Moïse furent déposés dans une terre étrangère ? Que nous ne savons pas même où sont ceux d’Aaron, de Daniel, de Jérémie, de plusieurs apôtres ? On connaît, en effet, les tombeaux de saint Pierre, de saint Paul, de saint Thomas ; et des autres, bien plus nombreux, on ne sait rien de leur sépulcre. Aussi ne nous affligeons point pour ce sujet n’ayons pas l’esprit assez étroit, ni le cœur assez faible pour nous soucier de cela. Quel que doive être le lieu de notre sépulture, « la terre et sa plénitude appartiennent au Seigneur ». Il n’arrive que ce qui doit arriver. Tant de pleurs, de sanglots et de larmes sur ceux qui ne sont plus, n’ont leur source que dans la bassesse de l’âme.
« C’est par la foi que Moïse après sa naissance fut tenu caché pendant trois mois par ses parents (23) ». Ces justes, vous le voyez, n’espéraient qu’après leur mort l’accomplissement des promesses de Dieu, et leurs espérances n’ont pas été trompées. C’est la réponse à l’objection de quelques personnes qui disent : Les promesses qu’ils ne virent point remplies de leur vivant, le furent après leur mort, sans doute : mais ils ne croyaient pas qu’elles dussent s’accomplir après leur trépas. – Alors, pourquoi Joseph n’a-t-il pas dit : Quoi ! ni moi-même pendant ma vie, ni mon père, ni mon aïeul dont, surtout, Dieu aurait dû respecter la vertu, nul d’entre nous n’a reçu la terre promise ! Comment croire qu’il daignera donner à leurs fils coupables ce qu’il n’a pas daigné octroyer à des ancêtres si saints ? Non, Joseph ne tint pas ce langage ; sa foi sut vaincre et dominer toute objection.
Saint Paul, jusqu’ici, a parlé d’Abel, de Noé, d’Abraham, de. de Joseph, personnages remarqués, admirables, glorieux. Pour mieux encourager les Hébreux, il va chercher ses preuves jusque dans d’autres personnes qui n’eurent rien de remarquable. Que des hommes merveilleux aient tant souffert, en effet, que les Hébreux se soient montrés inférieurs à de si grands modèles, ce n’est pas chose étonnante. Ce qui est grave, c’est qu’ils se soient placés au-dessous de personnes sans nom et sans gloire. Et l’apôtre commence par le père et la mère de Moïse, lesquels n’avaient rien de remarquable, rien qui approchât de ce que fut leur fils. Saint Paul renchérira encore et prouvera l’absurdité de leur manque de foi, en citant l’exemple contraire de veuves et de femmes de mauvaise vie. « C’est par la foi », dira-t-il, « que Rahab, femme débauchée, ne périt point avec les incrédules, parce qu’elle reçut et sauva les espions de Josué ». Enfin, l’apôtre rappelle le salaire, non de la foi seulement, mais aussi de l’infidélité, comme dans l’histoire de Noé.
Mais nous avons à revenir sur le fait des parents de Moïse. Un ordre de Pharaon commandait de mettre à mort tous les enfants mâles, et aucun n’échappait au trépas. Comment donc ceux-ci espérèrent-ils sauver leur fils ? Par la foi. Et par quelle foi ? Ils virent, a dit l’Écriture, la beauté extraordinaire de cet enfant. Sa vue suffit pour leur donner la foi : tant dès le berceau, et jusque dans les langes, ce juste naissant avait reçu de grâces, non pas de la nature, mais de Dieu. Voyez plutôt l’enfant, dès sa naissance, se fait remarquer non par la laideur ordinaire, mais par une extrême beauté. Et qui l’a produite ? Ce n’est pas la nature, mais la grâce de Dieu, laquelle réveilla aussitôt la pitié dans le cœur de la fille d’un roi d’Égypte, lui donnant même le courage de prendre et d’aimer comme son fils cet enfant étranger.
Cependant quel était le fondement de la foi chez les parents de Moïse ? Était-ce une merveille si grande que la beauté d’un enfant ? Mais vous, ô Hébreux, vous croyez d’après des faits, et d’autres preuves solides : Quand vous avez souffert avec joie le pillage de vos biens et d’autres maux, c’est par la foi que vous l’avez enduré. Toutefois, après ces preuves de foi, les Hébreux étaient retombés dans le découragement. Aussi l’apôtre leur fait remarquer, dans les parents de Moïse, une foi plus large, plus persévérante, semblable à celle