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que servit-il à la victime de Caïn, que celui-ci ait subi une certaine condamnation et un supplice ?
Qu’y a-t-il gagné pour lui-même ? Supposons même que le meurtrier ait été sévèrement puni. Qu’importe à celui qui est mort si prématurément ? Enoch ne tint point ce langage, il n’eut point ces pensées ; passant par-dessus toutes ces considérations, il comprit que s’il est un Dieu, ce Dieu est nécessairement rémunérateur.
Or, ces anciens ne savaient rien encore de la résurrection. Si donc, avec l’ignorance entière de ce dogme consolant, voyant même tout l’opposé en apparence, ils ont su néanmoins chercher te bon plaisir de Dieu : combien plus y sommes-nous obligés ? Car ils n’avaient, eux, ni cette connaissance de la résurrection, ni la facilité de contempler des modèles. Et c’est précisément pour n’avoir rien reçu de Dieu, que ce saint personnage fut agréable à Dieu. Car enfin, répondez-moi. il tenait pour sûr que Dieu est rémunérateur ; mais d’où le savait-il ? Abel n’avait certes point été rémunéré. Ainsi la raison suggérait de toutes autres pensées que celles de la foi ; celle-ci disait le contraire de ce qu’on voyait. Donc, vous aussi, chers disciples, s’écrie l’apôtre, si vous n’êtes point rétribués en ce monde, ne vous en troublez pas !
Comment Enoch fut-il « transporté par la foi, hors de ce monde ? » il plaisait à Dieu, et c’est pourquoi il fut enlevé ; et la cause de cette amitié de Dieu pour lui fut sa foi. Car s’il eût ignoré que Dieu lui gardât une récompense, comment l’eût-il servi ? « Sans la foi il est impossible de plaire à Dieu ». Un homme croit ces deux points, l’existence de Dieu et la récompense à venir : il recevra le salaire de ses œuvres. C’est cette foi qui rendit Enoch agréable au Seigneur.
« Car il faut, pour s’approcher de Dieu, croire qu’il est », et non savoir ce qu’il est. Or si, rien que pour croire à son existence, il faut la foi déjà, et non les raisonnements, comment, par la raison, pourrions-nous comprendre sa nature ?« Et qu’il récompense ceux qui le cherchent ». Si ce second point exige aussi la foi, et non pas seulement la raison, comment, encore une fois, notre raison pourrait-elle comprendre l’essence et les perfections de Dieu ? Quel raisonnement pourrait atteindre à ces hauteurs ? En effet, il se rencontre des hommes qui attribuent au hasard l’existence même de cet univers. Vous voyez donc que si, sur tous les points, nous ne gardons pas la foi, si elle n’est pas là pour nous faire accepter, je ne dis pas seulement la rémunération à venir, mais la vérité si élémentaire de l’existence de Dieu, tout est perdu pour nous !
Plusieurs demandent comment et pourquoi Enoch fut transporté hors de ce monde, pourquoi il n’est pas mort, non plus qu’Élie, et, supposé qu’ils vivent encore, comment et dans quel état ils vivent ; autant de problèmes inutiles à résoudre. Que l’un, Enoch veux-je dire, ait été transféré ailleurs ; que l’autre, c’est-à-dire Élie, ait été enlevé, l’Écriture le déclare. Où sont-ils maintenant, et comment sont-ils, l’Écriture ne l’a pas dit aussi clairement. C’est qu’en effet, elle ne nous enseigne que les vérités à nous nécessaires. Cette première translation a ou lieu dans les commencements du monde, pour donner au genre humain la double espérance que la loi de la mort serait un jour abrogée et la tyrannie du démon à jamais vaincue. J’ai dit que la loi de la mort serait abrogée : car Enoch fut transféré, non pas après sa mort, mais « pour qu’il ne mourût pas » ; et c’est pourquoi l’apôtre ajoute : Il fut transféré tout vivant, parce qu’il avait plu au Seigneur. Ainsi qu’un père, après avoir menacé son fils, veut tout bas oublier ses menaces, et toutefois soutient son premier mot et y persévère pour le châtier en attendant, et pour le tenir comme averti, laissant ainsi à ses menaces un caractère de durée et d’immutabilité ; ainsi notre Dieu, agissant pour ainsi dire à la façon des hommes, au lieu de soutenir son rôle menaçant, a montré dès le commencement que la mort était déjà abrogée, mais il a laissé d’abord le juste Abel subir le trépas ; voulant, par l’exemple du fils, effrayer le père. Son dessein étant de montrer que sa sentence première est sérieuse et stable, s’il ne châtie point aussitôt les méchants, du moins il laisse périr cruellement un serviteur qu’il aimait, j’ai nommé ce bienheureux Abel ; mais presque aussitôt après celui-ci, il transporte hors du monde Enoch tout vivant. Ainsi, par la mort d’Abel, Dieu imprime la terreur ; et par l’enlèvement d’Enoch, il inspire aux hommes un saint zèle, une sainte rivalité à le servir. C’est assez vous dire combien déplaisent à Dieu ceux qui prétendent que tout marche à l’aventure, que le hasard dirige tout, et qui n’attendent pas la rémunération : idée et conduite vraiment païennes. Car, pour ceux qui le cherchent, et par les bonnes couvres et par la croyance, Dieu saura les récompenser.
3. Nous avons un rémunérateur ; faisons donc tout au monde, pour ne pas être privés d’une récompense qui ne se donne qu’à la vertu. Qui pourrait assez pleurer le mépris que l’on ferait d’une telle récompense, et l’indifférence que l’on témoignerait pour une si glorieuse couronne ; car comme Dieu saura payer largement ceux qui le cherchent, ainsi saura-t-il traiter tout autrement ceux qui n’ont point souci de lui.
« Cherchez », est-il écrit, « et vous trouverez ». (Mt. 7,7) Or, comment peut-on trouver le Seigneur ? Réfléchissez comment on trouve l’or avec bien des travaux ! « J’ai levé mes mains vers Dieu durant la nuit », disait le Prophète, « et je n’ai pas été déçu ». (Ps. 76,3) Quant à nous, cherchons le Seigneur, comme nous cherchons un objet perdu et de grand prix. N’est-il pas vrai qu’alors nous tournons vers un seul point tout notre esprit ? N’examinons-nous pas tous les passants ? Reculons-nous devant un lointain voyage ? Ne promettons-nous pas de l’argent ? Et si c’était un de nos enfants qu’il fallût retrouver, que ne ferions-nous pas ? Quelle terre, quelle mer ne verrait nos démarches ? Argent, maisons, propriétés, tout serait sacrifié volontiers au prix d’une telle découverte. Et l’avons-nous retrouvé, nous le saisissons, nous l’embrassons, nous ne pouvons le quitter. Pour rentrer en possession d’un si précieux trésor, enfin, aucun sacrifice ne nous paraît