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la vertu du jeune homme, il ne fit point attention à la différence de leurs croyances, mais il l’aima, le chérit, l’admira, lui confia, la direction des autres esclaves, au point qu’il ne savait rien par lu !-même de ce qui se passait dans sa propre maison ; Joseph était un second maître, et même il était plus maître que celui qui l’avait acheté, puisque celui-ci ne connaissait pas l’état de ses affaires et que Joseph le connaissait mieux que lui. Lorsque plus tard ce maître crut aux indignes calomnies qu’une femme coupable dirigeait contre lui, il me semble que c’est à cause du respect et de l’estime qu’il avait eus autrefois pour ce juste, qu’il arrêta l’effet de sa colère à la peine de la prison seulement. S’il ne l’avait pas tellement respecté et admiré pour sa conduite d’autrefois, il l’aurait tué aussitôt et lui aurait passé l’épée au travers du corps
« Car la jalousie est une fureur de mari qui n’épargnera point l’adultère au jour de la vengeance ». (Prov. 6,54) Si telle est la jalousie dans tout mari, combien plus grande ne devait-elle pas être dans celui-ci, qui était Égyptien, barbare, et qui croyait avoir été blessé dans son honneur par celui qu’il avait élevé en dignité ? Vous le savez en effet, toutes les injures qu’on nous fait ne sont pas également cruelles, notre indignation s’élève avec plus d’amertume contre ceux qui d’abord ont eu pour nous de bons sentiments, en qui nous avons eu confiance, qui nous ont été fidèles et qui ont reçu de nombreux bienfaits de nous. Le maître de Joseph ne s’est pas dit en lui-même : Quoi donc ? Voilà un esclave que j’ai accueilli ; je lui ai confié toute ma maison, je lui ai donné sa liberté, je l’ai fait plus grand que moi, et c’est ainsi qu’il me répond ! Il ne s’est rien dit de tout cela, tant il était encore tenu par la considération qu’il avait eue pour lui.
Qu’y a-t-il d’étonnant qu’ayant été si honoré dans cette maison il ait inspiré tant d’intérêt même dans les fers ? Vous savez combien sont ordinairement cruels les gardiens des prisons. Ils prélèvent un tribut sur les malheurs d’autrui, et les infortunés que d’autres prendraient soin de nourrir, ils les déchirent pour faire des gains dignes de bien des larmes, avec plus de cruauté que des bêtes féroces. Dans les maux qui devraient émouvoir leur pitié, ils ne voient qu’une occasion de gagner dé l’argent. Ce n’est pas tout. Ils n’ont pas la même conduite envers tous ceux qui sont jetés en prison. Car pour ceux qui ont été les victimes de la calomnie, qui n’ont été que diffamés et qu’on a emprisonnés pour cela, il peut leur arriver d’en avoir ensuite pitié. Mais ceux qui ont été jetés dans les fers pour les forfaits les plus odieux, les plus révoltants, ils les déchirent de mille coups. Ainsi ils ne sont pas seulement cruels par nature, ils le sont encore d’après les motifs qui ont fait mettre en prison un infortuné. Qui en effet cet adolescent n’aurait-il pas excité contre lui, lorsqu’après avoir été élevé à une telle dignité, il était soupçonné d’avoir tenté de violer sa maîtresse et d’avoir répondu ainsi à tant de bienfaits ? En s’arrêtant à ces pensées, en voyant les anciens honneurs dont il avait été précipité et les raisons pour lesquelles il avait été jeté dans les fers, le gardien de la prison ne devait-il pas s’attaquer à Joseph avec plus de férocité qu’une bête sauvage ? Mais son espoir en Dieu triompha de tout : c’est ainsi que la vertu sait apaiser les monstres eux-mêmes. La même douceur qui lui avait servi à s’emparer de l’esprit de son maître, lui servit à s’emparer de l’esprit de son gardien. De nouveau, Joseph avait le pouvoir, et il commandait dans la prison comme il avait fait dans le palais. Comme il devait régner, c’est avec raison qu’il a d’abord appris à obéir : même lorsqu’il était esclave il donnait des ordres et il gouvernait la maison de son maître.
5. Écoutez ce que saint Paul exige de celui qu’on prépose au gouvernement de l’Église, il dit : « Si quelqu’un ne sait pas conduire sa propre maison, comment pourrait-il gouverner l’Église de Dieu ? » (1Tim. 3,5) Il était bon que celui que Dieu allait élever au gouvernement d’un grand empire, se signalât d’abord par la conduite d’une maison, et ensuite d’une prison que Joseph gouverna, non comme une prison, mais comme une maison. Il consolait toutes les afflictions, et dans son autorité sur les prisonniers il agissait comme s’il se fût agi de ses propres membres. Il ne se contentait pas de tout faire pour les relever lorsqu’ils étaient abattus par les malheurs, mais s’il voyait quelqu’un absorbé dans ses réflexions, il s’approchait pour lui en demander la cause, car il ne pouvait pas voir un homme triste sans essayer aussitôt de le délivrer de sa tristesse : personne n’est si sensible même à l’égard d’un fils. C’est par là qu’a