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comme une nuit qui s’est étendue sur le monde ; nul ne sort de cet enivrement ; mille accusations publiques et privées ; s’élèvent contre la cupidité, mais personne ne s’en corrige.
Que pourrait-on faire ? Comment éteindre cette flamme ? Eh bien ! quand elle se serait élevée jusqu’au ciel, pour s’en rendre maître il suffit de le vouloir. Comme c’est la volonté qui l’a développée, c’est la volonté qui l’anéantira. N’est-ce pas notre libre arbitre qui en est l’auteur ? Il pourra aussi l’éteindre ; veuillons-le seulement. Et cette volonté, comment naîtra-t-elle en nous ? Si nous considérons combien cette possession est frivole et vaine ; que les richesses ne sauraient nous suivre dans l’autre vie, que même en cette vie elles nous abandonnent souvent ; que cette passion demeure ici, mais que les blessures qu’elle nous a faites, nous les emportons dans l’autre monde ; si nous considérons encore quelle est la richesse des cieux pour la comparer avec celle de la terre, celle-ci nous paraîtra plus vile que de la boue ; si nous voyons qu’elle comporte mille dangers, que le plaisir en est passager et mêlé de dégoûts ; si nous méditons sur la richesse de la vie éternelle, alors nous pourrons mépriser celle du monde ; si nous voyons que celle-ci nous est inutile pour notre renommée, notre santé, tout enfin, mais qu’elle nous abîme au contraire dans notre perte et notre ruine. Ici vous êtes riches et avec de nombreux subordonnés ; là-bas vous arriverez seul et nu. Si nous nous le répétons sans cesse et que nous l’entendions répéter, peut-être guérirons-nous, peut-être échapperons-nous à ce terrible châtiment. Une perle est belle ? Pensez que c’est de l’eau de mer, qu’elle y était d’abord perdue. L’or et l’argent sont beaux ? Pensez donc que c’est de la terre et de la cendre. Les vêtements de soie sont beaux ? mais ils sont tissés par des vers. Cette beauté réside dans l’opinion, dans le préjugé des hommes et non dans la nature ; car ce qui est naturellement beau n’a pas besoin qu’on enseigne à le remarquer. Si vous voyez une pièce de cuivre simplement recouverte d’or, vous l’admirez en l’appelant de l’or, mais, quand les gens du métier vous auront fait connaître la fraude, l’admiration aura disparu avec l’erreur. Voyez-vous que cette beauté ne réside pas dans la nature ? Et l’argent ? En voyant de l’étain vous l’admirez pour de l’argent, comme du cuivre pour de l’or ; il faut se faire instruire pour savoir si l’on doit admirer. Ainsi, les yeux ne suffisent pas pour le reconnaître. Les fleurs valent mieux ; il n’en est pas ainsi d’elles. Si vous voyez une rose, vous n’avez pas besoin qu’on vous apprenne ce qu’elle est ; vous saurez bien la distinguer de l’anémone ; et de même la violette, le lys, chaque fleur enfin. C’est donc un préjugé que l’admiration dont je parlais. Et, pour vous faire comprendre qu’un préjugé en est la source, dites-moi, s’il plaisait à l’empereur de décréter que l’argent vaut plus que l’or, cet enthousiasme séducteur ne changerait-il pas d’objet ? Ainsi nous sommes partout les jouets de la cupidité et de l’opinion. Qu’il en soit ainsi, que la rareté soit la cause des prix qu’on met aux objets, en voici une preuve. Il est des fruits vendus ici à vil prix et qui sont chers en Cappadoce, plus chers que ceux qui sont précieux chez nous ; il en est de même pour les pays des Sères d’où nous viennent ces étoffes de luxe ; dans l’Arabie et l’Inde, pays des aromates et des pierres précieuses, on signalerait bien des faits semblables. C’est donc un préjugé que cette opinion ; nous n’agissons jamais avec jugement, mais par caprice et à l’aventure. Sortons donc de cette ivresse, considérons ce qui est véritablement beau, ce qui est beau par sa nature, la piété, la justice, afin d’obtenir les biens promis, que je vous souhaite à tous, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui soient au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance, honneur, maintenant et toujours, et aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.