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païens nous disent que c’est un animal raisonnable, mortel, susceptible d’intelligence et de science ; mais ce n’est pas par leur témoignage, c’est par l’Écriture sainte que nous déterminons sa nature. Or, comment la détermine-t-elle ? Écoutez-la : « Il était un homme », et qu’était-il ? « juste, véridique, pieux, s’éloignant de tout ce qui est mal ». (Job. 1,1) Voilà le type de l’homme. Un autre écrivain sacré nous dit : « C’est une grande chose que l’homme, et l’homme miséricordieux est un objet précieux ». Mais ceux qui ne sont pas tels, quand ils seraient doués d’intelligence, et mille fois aptes à la science, l’Écriture ne les reconnaît pas pour dés hommes, mais pour des chiens, des chevaux, des vipères, des serpents, des renards, des loups et des animaux plus odieux que ceux-là, s’il en existe. Si donc tel est l’homme, le voluptueux n’est pas un homme ; et comment le serait-il, puisqu’il ne se préoccupe de rien de tel ? On ne peut être àla fois voluptueux et sobre : l’un exclut l’autre. Les païens eux-mêmes le disent : A ventre épais, jamais esprit subtil[1].
L’Écriture a bien su désigner les hommes dépourvus d’âme par ces mots : « Parce qu’ils sont chair. » (Gen. 6,3) Ils avaient cependant une âme, mais elle était morte. Car de même que nous disons des hommes vertueux qu’ils sont tout âme, tout esprit, bien qu’ils aient un corps, nous pouvons employer l’expression inverse. C’est ainsi que Paul a dit : « Pour vous, vous n’êtes pas dans la chair » (Rom. 8,9), parce qu’ils n’accomplissaient pas les œuvres de la chair. De même les voluptueux ne sont point dans l’âme ni dans l’esprit.
« Celle qui vit dans les délices est morte « toute vivante ». Écoutez, vous qui passez tout votre temps dans les festins et dans l’ivresse, vous qui n’arrêtez point vos regards sur les pauvres qui languissent et meurent de faim, mais qui mourez sans cesse dans les délices. Vous produisez une double mort par votre intempérance, la mort de ces infortunés et la vôtre ; et si vous aviez uni votre superflu à leur misère, vous auriez produit une double vie. Pourquoi donc gonfler votre estomac par vos excès et faire languir le pauvre par sa détresse?, Vous gâtez l’un en dépassant la mesure, et c’est outre mesure aussi que vous faites sécher l’autre. Pensez à ce que sont les aliments, comment ils se transforment et ce qu’ils deviennent. Ah ! cela vous blesse de m’entendre ? eh bien, pourquoi tant d’empressements à en produire plus largement la réalité, en vous gorgeant de nourriture ? La nature a ses bornes, et ce qui les dépasse n’accroît pas l’alimentation, mais devient inutile et nuisible. Nourrissez votre corps, ne le tuez pas. Nourriture ne veut pas dire ce qui tue, mais ce qui alimente. L’économie de la digestion est ainsi disposée, je pense, pour que nous ne soyons pas amis de l’intempérance ; car si la nourriture ne pouvait devenir inutile et nuisible, nous nous serions sans cesse dévorés les uns les autres : si l’estomac recevait tout ce que nous voulons lui donner, s’il le transformait en notre substance, combien ne verrait-on pas de guerres et de combats ? Si en effet, bien que tout né soit pas absorbé, malgré ce qui se transforme soit en sang, soit en graisse inutile et parasite, nous sommes si avides des plaisirs de la table, si souvent nous consumons dans un festin tout un héritage, que ferions-nous sans cela ? Nous nous infectons nous-mêmes en nous livrant à ces excès où notre corps devient semblable à une outre qui laisse échapper le vin[2]. Si les autres en sont incommodés, que ne doivent pas souffrir et le cerveau sans cesse atteint par ces vapeurs, et les vaisseaux obstrués d’un sang qui bouillonne, et le foie et la rate qui doivent le recevoir, et les intestins eux-mêmes ? Chose désolante, nous songeons à prévenir l’obstruction des égouts, de peur qu’ils ne regorgent ; nous avons grand soin de les dégager avec des crocs et des hoyaux, et, pour ceux de notre estomac, loin de les tenir libres, nous les obstruons et les engorgeons : les immondices montent à la résidence du roi, je veux dire au cerveau, et nous n’y veillons pas. Nous agissons comme si nous n’avions pas là un roi ami de la décence, mais un chien immonde. Le Créateur a relégué au loin ces organes, afin qu’ils ne nous incommodent pas ; mais nous troublons son œuvre et gâtons tout par notre intempérance. Mais que dire des maux qui en résultent ? Bouchez les canaux des égouts, et vous

  1. Le grec forme un vers iambique trimètre, emprunté sans doute à quelque poète comique.
  2. Sans avoir rien d’alarmant pour la pudeur la plus stricte, la phrase suivante ne peut se traduire qu’en latin et en note : Eructat aliquis adeo ut vel extra conclave cerebrum audientis concutiat, ùndique e corpore caliginosus effluit quasi e camino fumus, calore intus in putredinem verso.