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Et quoi, me dira-t-on, nous n’aimons pas même le Christ comme nos amis ? Je vais essayer de vous le faire voir ; je voudrais que mes paroles fussent des folies et non la vérité, mais je crains de rester encore au-dessous d’elle. Pour de véritables amis, souvent plusieurs ont volontairement souffert ; pour le Christ, nul ne consent, je ne dis pas à souffrir, mais à se contenter de sa fortune présente. Pour un ami, souvent nous nous exposons à l’injure, nous acceptons des inimitiés ; pour le Christ, nul n’en accepte ; mais, comme dit le proverbe ##Rem Fais-toi aimer à l’aventure et non haïr à l’aventure. Nous ne voyons pas d’un ceil indifférent notre ami souffrir de la faim ; chaque jour le Christ vient nous demander non de grands sacrifices, mais un morceau de pain et nous ne l’accueillons pas, tandis que nous remplissons et gonflons notre ventre jusqu’à un ignoble excès, que notre haleine est infectée de vin, que nous vivons dans la mollesse, que nous prodiguons nos biens les uns à des créatures sans pudeur, les autres à des parasites, ou à des flatteurs, ou encore à des monstres, à des fous, à des nains, car on se fait un amusement des disgrâces de la nature. Jamais nous ne portons envie à nos véritables amis, et nous ne souffrons point de leurs succès ; mais envers le Christ, nous éprouvons ce sentiment ; on voit donc que l’amitié a sur nous une plus grande puissance que la crainte de Dieu. L’homme perfide et envieux a moins de respect pour Dieu que pour les hommes. Comment cela ? C’est que la pensée de Dieu voyant au fond des cœurs, ne le détourne pas de ses machinations, mais s’il est aperçu d’un de ses semblables, il est perdu, il est saisi de honte, il rougit. Que dirai-je encore ? Nous allons trouver un ami dans le malheur, et, si nous différons quelque peu, nous craignons d’être blâmés ; et quand, tant de fois, le Christ est mort dans la captivité, nous n’y avons pas pris garde. Nous allons vers nos amis qui sont au nombre des fidèles, non parce qu’ils sont fidèles, mais parce qu’ils sont nos amis.
4. Vous le voyez, nous ne faisons rien parla crainte de Dieu, ni par amour pour lui, mais nous agissons par amitié ou par coutume. Quand un ami est absent, nous pleurons, nous gémissons ; si nous le voyons mort, nous nous lamentons, bien que nous sachions que ce n’est point une séparation éternelle ; mais quand le Christ est éloigné de nous chaque jour, ou plutôt quand chaque jour nous l’éloignons d nous, nous n’en éprouvons aucune douleur et nous ne pensons pas être malheureux quand nous commettons l’injustice, quand nous ! contristons, quand nous l’irritons, quand noue faisons ce qui lui déplaît. Mais nous ne non contentons point de ne pas le traiter en ami ; je vais vous montrer que nous le traitons en ennemi. Comment cela ? C’est que « la prudence de la chair, dit l’Écriture, est ennemie de Dieu ». (Rom. 8,7) Or nous nous tenons attachés à cette prudence, et nous persécutons le Christ qui veut accourir à nous ; car tel est l’effet des actions mauvaises ; nous nous rendons chaque jour coupables des outrages qu’il subit par notre cupidité et nos rapines. Un homme jouit d’une éclatante renommée, parce qu’il célèbre la gloire du Christ et qu’il sert les intérêts de l’Église ; eh bien ! nous lui portons envie, parce qu’il fait l’œuvre de Dieu ; nous paraissons ne porter envie qu’à lui, mais elle remonte jusqu’à Dieu lui-même. Nous ne voulons pas que le bien se fasse par d’autres que par nous ; qu’il se fasse pour le Christ, mais pour nous ; car, si nous le désirions en vue du Christ, il nous serait indifférent qu’il s’opérât par d’autres mains ou par les nôtres.
Car, dites-moi : si un médecin a un enfant menacé de devenir aveugle, et qu’étant lui-même impuissant à le guérir il en trouve un autre capable de le faire, l’écartera-t-il d’auprès de son fils ? Non certes, mais il sera prêt à lui dire : Par vous ou par moi, que mon enfant soit guéri. Pourquoi ? Parce que ce n’est pas son intérêt qu’il a en vue, mais celui de son fils. De même aussi nous dirions, si nous considérions la cause du Christ : Par nous ou par un autre, que ce qui est expédient s’opère ; et, comme dit l’apôtre, « par vérité ou par occasion, que le Christ soit annoncé ». (Phil. 1,18) Écoutez ce que dit Moïse, quand on voulut exciter sa colère, parce que Eldad et Moad prophétisaient : « N’ayez point de jalousie à mon sujet ; qui me donnera de voir tout le peuple du Seigneur devenir prophète ? » (Nb. 11,29) Tout cela vient de l’amour de la renommée. N’est-ce pas là la conduite d’ennemis, d’ennemis déclarés ? Quelqu’un vous a-t-il mal parlé ? Faites-lui bon accueil. Est-ce possible ? Oui, si vous le voulez. Quel mérite avez-vous, si vous aimez celui qui n’a pour vous que de bonnes paroles ?