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que dans le cas où ils seraient portés à négliger son ordre, cette considération, qu’il les adjure, les détermine à l’exécuter. Autrefois on n’écoutait qu’en tremblant ces adjurations, aujourd’hui on n’y prend pas garde. Il arrive souvent qu’un esclave, frappé de verges, adjure son maître au nom de Dieu et du Christ de Dieu ; on l’entend s’écrier : Chrétien, que, tu meures, personne n’y fait attention, personne ne s’en occupe, personne n’en prend souci. Si au contraire on adjure par la vie d’un fils, aussitôt le maître se faisant violence, grinçant encore des dents, apaise sa colère. On voit un homme, traîné en prison, emporté à travers la place publique, en présence des grecs et des juifs, adjurer, de la manière la plus redoutable celui qui l’entraîne : personne n’y fait attention. Que ne diront pas les grecs, à la vue d’un fidèle adjurant un fidèle, un chrétien qui n’en tient aucun compte, qui de plus le dédaigne ?

3. Voulez-vous que je vous raconte une histoire que j’ai entendue moi-même ? Ce n’est pas une fiction que je vous apporte, j’ai entendu le fait de la bouche d’une personne tout à fait digne de foi. Une servante était mariée à un méchant homme, un scélérat, un esclave fugitif ; ce malheureux avait commis de grandes fautes, et devait être vendu par sa maîtresse ; il s’était couvert de trop de crimes pour qu’elle pût lui pardonner ; c’était une veuve elle ne pouvait pas le châtier quand il ruinait sa maison, mais elle avait résolu de le vendre. Elle réfléchit ensuite qu’il n’était pas permis de séparer le mari de sa femme ; et, quoique celle-ci fût honnête, et lui rendît des services, elle aima mieux la vendre avec son mari que de l’en séparer. La jeune servante se voyant donc dans cette situation, pleine d’angoisses, alla trouver une noble dame, amie de sa maîtresse, et c’est de cette dame que je tiens cette histoire ; la servante, lui prenant les genoux et répandant des flots de larmes, et poussant mille cris lamentables, la pria de fléchir sa maîtresse en sa faveur. Après avoir fait entendre beaucoup de paroles, à la fin elle ajouta, comme le moyen le plus énergique de persuasion, une adjuration terrible. Or, voici quelle était cette adjuration : Puissiez-vous voir le Christ au jour du jugement, si vous ne méprisez pas ma prière, et à ces mots elle se retira. Celle à qui cette prière avait été adressée, distraite par quelque affaire, comme il arrive dans la vie, oublia un instant ces paroles ; mais plus tard, tout à coup, dans l’après-midi, à l’heure du crépuscule, elle se souvint de l’adjuration redoutable, et son âme en fut fortement touchée, et elle s’en alla, et elle s’acquitta avec soin de ce dont elle était priée. Cette femme, pendant la nuit, vit tout à coup le ciel ouvert, et Jésus-Christ lui-même ; elle le vit comme le Christ pouvait être vu par une femme.

C’est parce qu’elle comprenait l’importance de ces adjurations, c’est parce qu’elle redoutait le Seigneur, qu’elle fut favorisée d’une pareille vision. Ce que j’en dis, c’est pour que nous, comprenions bien ce que les adjurations ont de redoutable, surtout lorsqu’on nous adjure de faire des bonnes œuvres, de faire l’aumône, de pratiquer la charité. Voici, à terre, des pauvres, des mutilés, ô femme, et ils te voient franchir en courant ton chemin ; leurs pieds ne peuvent te suivre ; alors ils se servent comme d’un hameçon pour t’attirer à eux, de l’adjuration ; ils étendent les mains, et t’adjurent de leur donner une obole, deux oboles, rien de plus. Mais toi, tu continues ta course ; toi qu’on adjure au nom du Seigneur ton Dieu ! Et je suppose qu’on t’adjure par les yeux, ou de ton mari en voyage, ou de ton fils, ou de ta fille ; aussitôt tu cèdes, et ton cœur palpite, et ton sang s’échauffe ; si, au contraire on t’adjure au nom du Seigneur, tu poursuis ta course. Je connais beaucoup de femmes, moi, que le nom du Christ ne retient pas dans leur course ; mais, qu’on loue leur beauté en s’approchant d’elles, elles fléchissent, elles s’attendrissent, et elles vous tendent la main ; elles vont jusqu’à provoquer – chez les pauvres, chez ces infortunés, le rire – à leurs dépens. Comme les paroles passionnées ou sévères ne touchent pas le cœur de ces femmes, les pauvres emploient le moyen qui leur fait plaisir, et voilà le malheureux ; celui que la faim tourmente, forcé par notre bassesse de faire l’éloge de leur beauté.

Et, s’il n’y avait pas d’autres désordres, mais il est un autre abus plus révoltant ; voilà les pauvres forcés de faire le métier de prestidigitateurs, de bouffons, de personnages ridicules. Quand vous les voyez avec des coupes, des vases de bois de lierre, des gobelets, dans les doigts des timbales, des flûtes, chantant des chansons honteuses, exprimant les salés amours, vociférant, criant ; autour d’eux s’amasse la