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Riches, entendez ! ou plutôt hommes sans richesse, puisque vous êtes sans humanité, comprenez ! Ce damné est puni non comme riche, mais comme sans pitié. L’opulence, en effet, conduite par la sainte pitié des pauvres, peut conquérir les biens infinis. Ce méchant, du sein des tortures, n’a vu qu’un homme, le Lazare, afin que son aspect lui rappelât sa cruelle conduite et qu’il comprît mieux la justice du châtiment. Le ciel ne pouvait-il lui présenter, par milliers, des pauvres couronnés ? Oui, sans doute : mais celui qui gisait à sa porte, se montre seul pour l’instruire et nous avec lui, du grand bonheur qu’on trouve à ne pas se fier aux richesses. À celui-ci, en effet, la pauvreté ne fut point un obstacle pour gagner le ciel ; à celui-là les richesses ne servirent pas même à lui épargner l’enfer.
Jusqu’à quand donc dirons-nous : malheur aux pauvres ! malheur aux mendiants ! Non, non, le pauvre ce n’est pas l’homme qui n’a rien ; c’est l’homme qui a de trop vastes désirs ! Le riche n’est pas celui qui possède beaucoup, mais plutôt celui qui ne manque de rien. À quoi sert de posséder l’univers entier, si l’on est plus dans la tristesse que l’indigent ? La volonté et le parti pris font les vrais riches ou les vrais pauvres, et non pas l’abondance ou le besoin. Pauvre, voulez-vous vous enrichir ? Si vous le voulez, c’est chose facile, et personne au monde ne peut vous en empêcher : méprisez les richesses du monde ; regardez-les pour ce qu’elles sont, pour rien ! chassez de votre cœur les désirs cupides, et vous êtes riche !
Qui ne veut pas s’enrichir, a fait déjà fortune ; qui ne veut pas s’appauvrir, est déjà ruiné. Languir en pleine santé, c’est être plus véritablement malade que ne l’est un homme courageux, qui supporte avec une égale facilité la santé et la maladie : ainsi ne pouvoir subir l’indigence même en perspective, et se croire pauvre au sein des richesses, c’est être vraiment pauvre, comme ne l’est pas celui qui, acceptant de grand cœur son indigence réelle, vit avec une joie inconnue à l’opulence. Oui, celui-ci est vraiment bien plus riche.
Dites-moi, en effet, pourquoi craindre la pauvreté ? Pourquoi la redouter ? Appréhendez-vous d’avoir faim, d’avoir soif, d’avoir froid, de subir enfin quelque fléau de ce genre ? Mais personne, personne, entendez-le, n’a jamais été réduit à de telles extrémités : « Consultez plutôt les générations écoulées, et voyez. Qui donc a cru en Dieu, et se vit délaissé ? Qui espéra en lui, et fut confondu ? » (Sir. 2,10) Et ailleurs : « Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent ni n’amassent point dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit ». (Mat. 6,26) Il n’est pas facile de citer quelqu’un qui soit mort ou de faim ou de froid. Pourquoi donc craignez-vous la pauvreté ? Vous ne pouvez répondre. Oui, pourquoi la craindre, si vous avez le nécessaire ? Serait-ce parce que vous n’avez pas une multitude de serviteurs ? Mais quel malheur, en vérité, de n’être pas ainsi embarrassé d’une foule de maîtres, de jouir d’un bonheur continuel, d’être affranchi de souci, d’être libre enfin ! – Serait-ce parce que vous n’avez pas ce mobilier, ces lits, cette vaisselle d’argent ? Mais, pour la vraie jouissance, le propriétaire de ces bagatelles est-il plus heureux que vous ? Non, car, pour l’usage de la vie, que la matière soit plus ou moins précieuse, un meuble n’a que son emploi. – Serait-ce parce que vous ne commandez pas la crainte à la multitude ? À Dieu ne plaise que cela vous arrive jamais ! Où est le plaisir à vous faire craindre, à vous faire trembler ? – Est-ce parce que, pauvre, vous craignez vous-même ? Mais ne craignez pas, cela vous est permis ! « Voulez-vous ne pas craindre les puissances (de la terre) ? Faites toujours bien, et vous obtiendrez même leurs louanges ». (Rom. 13,3)
Mais, m’objectez-vous, on nous méprise si facilement ! on nous accable si volontiers ! C’est beaucoup moins ta pauvreté que le crime, qui attire ces fléaux. Bien des pauvres, en effet, passent leur vie sans encombre ; tandis que bien des princes opulents et des souverains ont été plus maltraités par le sort que des criminels, des brigands, des profanateurs de sépulture. Le mal que peut vous faire la pauvreté, ils l’ont rencontré dans leurs richesses mêmes. Un malfaiteur vous attaque par mépris ; il s’en prend au riche par envie et colère, et il le fait sur lui avec plus de rage que sur vous ; car il est poussé à lui faire du mal par un motif plus violent. L’envieux, en effet, dépense, pour agir, toute la force et toutes les ressources de la passion : mais l’ambitieux, qui vous dédaigne souvent, prend en pitié l’objet de son dédain ; et la cause de votre salut aura été votre pauvreté même, votre faiblesse profonde.