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yeux fixés sur cette vie à venir, quoi que nous fassions. Le péché n’est rien que ténèbres, ô mon cher auditeur, c’est la mort, c’est la nuit qui ne nous laisse rien voir de ce qu’il faut voir, rien faire de ce qu’il faut faire. Cadavres hideux, cadavres infects, voilà les âmes corrompues remplies de toute espèce de souillures ; les yeux fermés, la bouche comprimée, immobiles sur la couche où le vice les étend. Image défectueuse, combien l’état de ces âmes est plus sinistre ! Nos morts, pour le bien comme pour le mal, sont morts ; ces âmes, insensibles pour la vertu, sont vivantes pour la perversité. Frappez un mort, il ne sent rien, il ne se venge pas ; voilà un morceau de bois sec, telle est l’âme, sèche aussi, réellement desséchée, qui a perdu la vie ; chaque jour elle reçoit d’innombrables blessures, elle ne sent rien, elle n’éprouve rien, elle ne souffre de rien, quoi qu’on lui fasse. Cet état peut se comparer à la folie furieuse, à l’ivresse, au délire. Voilà ce qu’est le péché, sa condition est bien plus déplorable que tout ce qu’il faut déplorer. On ne peut en vouloir au malheureux qui a perdu sa raison, tous l’excusent : son mal n’est pas l’effet de sa volonté, la nature seule a tout fait ; mais l’homme qui vit dans la perversité, quelle excuse pourra-t-il alléguer ? D’où vient donc la perversité ? D’où vient le si grand nombre des pervers ? D’où ils viennent ; vous me le demandez ? eh bien, répondez-moi, vous, d’où viennent les maladies ? d’où viennent les transports ? d’où viennent les sommeils pesants ? n’est-ce pas de notre incurie, de notre négligence ? Si les maladies du corps accusent, dès l’origine, notre volonté, à bien plus forte raison faut-il le dire des maladies volontaires. D’où vient l’ivresse ? n’est-ce pas de l’intempérance ? les transports, n’est-ce pas d’un excès de fièvre ? et la fièvre maintenant, n’est-ce pas de la surabondance des éléments qui débordent en nous ? mais cette surabondance des éléments qui sont en nous, d’où vient-elle, sinon de notre négligence ? Soit par défaut, soit par excès, nous dérangeons l’équilibre de nos humeurs, et voilà comment nous allumons ce feu qui nous brûle. Et maintenant si, après avoir allumé la flamme, nous restons longtemps sans y faire attention, nous construisons en nous, contre nous, un bûcher qu’il nous est impossible d’éteindre. Voilà comment se produit la perversité ; quand nous ne lui opposons pas d’entraves au début, quand nous ne l’extirpons pas dès l’origine, il nous est impossible de l’anéantir ensuite, c’est un triomphe au-dessus de nos forces.

Aussi, je vous en conjure, faisons tout pour ne pas nous endormir. Ne voyez-vous pas les gardiens perdre souvent, pour avoir un peu cédé au sommeil, tout le fruit d’une longue veille ? cet instant si court de relâchement a tout gâté, parce qu’ils ont donné au voleur les moyens de faire son coup sans avoir rien à craindre. Eh bien donc, de même que nous ne voyons pas les voleurs comme ils nous voient, de même le démon nous presse avec la plus grande insistance, et il ne cesse de grincer des dents. Donc gardons-nous bien de nous endormir, et ne disons pas : Rien à craindre par ici, rien à craindre par là. Souvent c’est par l’ennemi que nous n’attendions pas, que nous sommes dépouillés. Il en est de même du péché ; ce que nous n’attendions pas nous perd. Regardons avec soin tout autour de nous ; ne nous enivrons pas, et nous ne succomberons pas au sommeil ; ne nous plongeons pas dans les plaisirs, et nous ne nous endormirons pas ; ne laissons pas notre raison se troubler aux choses du dehors, et nous passerons notre vie tout entière dans la continence. Sachons nous régler nous-mêmes par tous les moyens. De même que ceux qui marchent sur une corde tendue, ne doivent pas avoir le moindre moment de distraction, si court qu’il soit, car cette petite distraction produit un grand malheur, on perd l’équilibre, on tombe, on se tue ; de même nous ne pouvons pas nous relâcher. Nous marchons en suivant une voie étroite, bordée des deux côtés de précipices, où les deux pieds ne peuvent se poser à la fois. Voyez-vous combien il est nécessaire que nous soutenions notre attention ? Ne voyez-vous pas comme les voyageurs qui s’avancent entre deux précipices, assurent non seulement leurs pieds, mais leurs yeux ? Car s’ils se trompent pour la direction, quoique leurs pieds tiennent ferme, le vertige qui trouble leurs yeux les fait tomber dans l’abîme. Il faut veiller sur soi-même et veiller sur sa marche ; de là ce que dit l’apôtre : Ni à droite, ni à gauche. L’abîme de la perversité est profond, les précipices en sont vastes ; en bas d’épaisses ténèbres, et la voie est étroite ; ayons donc une attention pleine de crainte, et marchons avec tremblement. Aucun de ceux qui entreprennent cette route ne se laisse aller à un rire dissolu, ni ne souffre que