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bonnes dispositions, votre fin à vous, et vous n’aurez rien à craindre de la grande consommation. Qu’elle soit éloignée, qu’elle soit proche, cela ne nous touche en rien. Voilà pourquoi le Christ ne répond pas ; il sait que la question est sans intérêt. Comment ! sans intérêt ? me répond-on. Celui qui n’a rien voulu dire, sait bien pourquoi la question est sans intérêt ; écoutez ce qu’il dit aux apôtres : « Ce n’est point à vous de savoir les temps et les moments que le Père a réservés à sa puissance propre ». (Act. 1,7) Que signifie cette recherche curieuse ? Voilà ce qu’entendit, avec les autres apôtres, Pierre leur chef, pour prix d’une indiscrète curiosité. Très-bien, réplique-t-on, mais si l’on était mieux instruit, on pourrait fermer la bouche aux gentils. Comment cela ? répondez-moi. C’est que les gentils, fait-on observer, regardent le monde comme un dieu ; donc si nous connaissions l’époque de la consommation, nous leur fermerions la bouche. Très-bien que faut-il pour leur fermer la bouche ? leur montrer que ce monde sera détruit, ou leur apprendre l’époque de la destruction ? Voulez-vous leur fermer la bouche, dites-leur que ce monde aura une fin ; s’ils ne vous accordent pas ce point, ils ne vous accorderont pas l’autre davantage.

Écoutez ce que dit Paul : « Vous savez bien vous-mêmes que le jour du Seigneur doit venir « comme un voleur de nuit ». Ce qui ne s’applique pas seulement à la fin commune, mais à la fin particulière de chacun de nous ; car celle-ci se comporte comme l’autre ; ces deux fins se ressemblent, c’est la même famille. Ce que l’une fait en bloc, l’autre le fait en détail ; le temps de la consommation a, pour point de départ, Adam ; la fin de la vie de chacun de nous est une image de la consommation ; on peut l’appeler aussi une consommation, sans craindre de se tromper. Chaque jour, des milliers et des milliers de mourants, lesquels doivent, tous sans exception, attendre le grand jour, et, avant ce jour-là, nul ne ressuscitera ; la consommation particulière n’est-elle pas une partie de la grande consommation ? Maintenant, pourquoi l’heure est-elle un secret ? pourquoi ce jour doit-il venir comme un voleur de nuit ? Je vais vous dire l’opinion qui me paraît sage. Personne ne consacrerait à la vertu sa vie tout entière, si on le connaissait bien ce jour, s’il n’était pas caché ; si l’on savait quand il doit venir, on commettrait mille crimes, avant de recourir au baptême et de s’apprêter au départ. Voyez, en effet, ce qui se passe maintenant : malgré l’incertitude qui épouvante toutes les âmes, tous les hommes consacrent d’abord leur vie à la corruption, ils attendent qu’ils n’aient plus qu’un souffle de vie, pour se tremper dans les eaux du baptême ; s’ils étaient tout à fait rassurés, qui s’occuperait donc de vertu ? Malgré la crainte qui les presse, un grand nombre sont partis pour l’autre vie sans avoir reçu la lumière et la grâce du baptême ; cette crainte même n’a pas appris aux vivants à s’inquiéter de ce qui plaît à Dieu ; supposez que cette crainte leur eût été enlevée, qui donc aurait encore gardé quelque mesure ? Qui donc aurait encore pratiqué la justice ? Personne. Seconde raison : il en est que retient l’épouvante de la mort, le désir de vivre ; si chacun savait que la mort ne doit venir que demain, on ne se refuserait rien, on oserait tout jusqu’à ce dernier jour, on égorgerait ceux qu’on voudrait, on commettrait crimes sur crimes pour se venger de ses ennemis.

2. Le scélérat qui n’a plus l’espoir de prolonger sa vie ici-bas, n’a plus de respect, même pour celui qui porte la pourpre. Supposez-le convaincu qu’il faut absolument partir, il se vengera de son ennemi, il assouvira sa fureur avant de recevoir la mort. Dirai-je une troisième raison ? Ceux qui tiennent à la vie, ceux qui ne peuvent se détacher de la terre, ceux-là mourraient d’abattement et de douleur. Un jeune homme saurait qu’il ne doit pas atteindre à la vieillesse, que sa vie sera terminée auparavant, il serait comme ces animaux languissants qui, une fois pris, deviennent plus languissants encore, n’attendant plus que leur fin. Pour le courage même, plus de récompense. Des hommes vaillants : sauraient que dans trois ans ils doivent de toute nécessité mourir, mais non avant ce terme ; quelle pourrait être la récompense de leur audace dans les périls ? C’est parce que vous n’avez rien à craindre, pour ces trois ans, que vous vous exposez aux dangers ; vous savez bien que vous ne pouvez pas quitter cette vie plus tôt. Celui qui peut trouver la mort dans chaque danger, qui sait que la prudence le sauverait, qui ne craint pas la mort et l’affronte, celui-là donne, et de son courage, et de son mépris de la vie présente, une preuve