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Mais ces hommes, objets de notre charité, ce sont des infidèles, des païens ! – Ils n’en seront que plus vite conquis à la religion, si nous savons donner. En nous voyant pleins de compassion pour tous les hommes, et dignes représentants de notre Maître suprême, ils comprendront que nous agissons à son exemple.

Ajoutons qu’il ne faut pas faire l’aumône au hasard ; mais plutôt avec précaution, avec garantie. – Ayez, est-il dit, la vraie aumône et la vraie foi. Le mot vrai n’est pas mis là sans raison, cela veut dire que l’aumône ne soit pas prise sur des biens acquis, par fraude ou par rapine. La bonne foi, la véritable aumône ne se trouvent point là : celui qui vole, se sert nécessairement de mensonge et de parjure. Avec l’aumône donc, possédez et gardez la bonne foi, est-il dit. – Oui, mes fières, entourons-nous de ce brillant ornement ; attachons à notre âme ce collier d’or, l’aumône, veux-je dire, et gardons-la tant que nous serons ici-bas.

En effet, quand cette vie sera finie, nous n’en ferons plus usage… Pourquoi ? C’est que, là-haut, il n’y a plus ni pauvres, ni argent, ni mendicités Mais tant que nous sommes enfants, gardons-nous de nous dépouiller de cette parure. Les enfants arrivés à l’âge viril, déposent les ornements du bas âge pour en revêtir de nouveaux ; ainsi en ira-t-il de nous. Dans la vie à venir, nous trouverons l’aumône encore, non pas celle qui se fait avec l’argent, mais une autre bien plus belle. De peur donc d’en être à jamais privés, ayons soin de former d’avance en nous une âme belle et splendide.
L’aumône est un bien si grand, si honorable ; c’est une grâce si précieuse ; c’est bien plus encore, c’est une vertu si féconde pour nous ! Si nous apprenons à mépriser l’argent, nous apprendrons plus et mieux encore. Voyez plutôt que de biens en résulteront : celui qui donne l’aumône comme elle doit être donnée, déjà apprend à mépriser l’argent ; celui qui sait mépriser l’argent, arrache de son cœur la racine de tout mal. Aussi reçoit-il un bienfait plutôt qu’il n’en donne ; non seulement parce qu’à l’aumône est attachée une récompense assurée ; mais aussi parce qu’en la pratiquant, l’âme s’élève à la vraie philosophie, elle est grande, elle est riche. Celui qui épanche l’aumône, s’instruit et s’apprend à ne point admirer l’or ni les biens terrestres ; et son âme, formée à une telle école, a déjà fait un pas immense vers les hauteurs célestes ; elle s’est retranché mille vains prétextes de disputes, de luttes, de jalousies, de désespoir. Car vous connaissez, oui, vous connaissez vous-mêmes, sans doute, que les richesses périssables sont la source de tous les maux, de mille guerres impies. Aussi en se formant à les mépriser, on se place dans un port sûr et tranquille, on n’a désormais aucun péril à craindre. L’aumône nous donne cet enseignement, elle nous apprend à ne plus convoiter le bien d’autrui. Comment désirerait-il encore, celui qui donne le sien, qui le jette à pleines mains ? La vue du riche n’excite plus votre jalousie : comment serait jaloux celui qui veut même s’appauvrir ? L’aumône, en un mot, rend pur le regard de votre âme.

Voilà pour les avantages de cette vie. Mais quels biens doivent être, dans l’autre, votre conquête éternelle, aucun langage ne saurait l’exposer. L’homme charitable ne sera pas réduit à « rester dehors », avec les vierges folles ; mais dans le cortège des sages, sur les pas de l’Époux, il entrera avec ses lampes brillantes. Ainsi, grâce à l’aumône, il dépassera ces insensées qui auront en vain conservé la virginité au prix de grands efforts, sans en avoir lui-même subi de pareils ; tant est grande la puissance de l’aumône : elle introduit en toute liberté ses disciples fidèles dans les cieux. Les gardiens attachés aux portes de ces demeures éternelles, où l’Époux habite, connaissent l’aumône ; ils la connaissent et la révèrent ; elle a le droit de faire entrer en toute liberté ceux qui l’ont aimée et pratiquée. Nul n’oserait l’arrêter ; tout cède devant elle. Elle a bien pu amener un Dieu sur la terre et lui persuader de se faire homme ; à bien plus forte raison peut-elle introduire l’homme dans le ciel : sa puissance est sans limites ! Oui, si par pure miséricorde, par amour pour les hommes, un Dieu s’est fait homme ; s’il s’est abaissé jusqu’à se faire esclave, bien plus facilement voudra-t-il introduire ses serviteurs dans sa propre maison.
Aimons-la donc, pratiquons-la, non pas un jour ou deux, mais tous les jours, pour qu’elle nous reconnaisse ; reconnus d’elle, nous le serons aussi de Dieu ; méconnus par elle, Dieu nous méconnaîtrait à son tour, et nous dirait : Je ne vous connais pas ! Mais à Dieu ne plaise que nous entendions cet anathème ; que plutôt il nous donne cette parole bienheureuse : « Venez, les bénis de mon Père ; possédez le royaume qui vous a été préparé depuis la création du monde ». Puissions-nous tous y arriver, par pure grâce et bonté divines, en Jésus-Christ Notre-Seigneur,… Ainsi soit-il.