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CHAPITRE V.

vaincues d’adultère avec deux jeunes chevaliers, furent saisies par ordre de leurs époux furieux, honteusement répudiées, couvertes de haillons, jetées dans une barque et transportées sur la Seine jusqu’aux Andelys, où une étroite prison les attendait au château Gaillard pour le reste de leur triste vie. La pauvre reine Marguerite, enfermée seule dans le haut d’une tour où elle avait froid, pleurait nuit et jour sa faute et le déshonneur qui en rejaillissait sur les reines de France. Ceux qui pouvaient la voir se retiraient le cœur brisé[1].

Quant aux deux chevaliers séducteurs, Philippe et Gaultier de Launay (de Alneto), regardés comme d’infâmes traîtres à leurs seigneurs ; convaincus d’avoir, depuis trois années, abusé de l’âge et de l’inexpérience des jeunes princesses, ils furent jugés à Pontoise et expièrent leur crime dans d’horribles supplices, écorchés vivants sur la place publique, mutilés, écartelés, décapités et pendus. Les époux outragés poursuivirent à outrance de leur vengeance féroce les complices présumés. Tous subirent la torture. Beaucoup de nobles et de vilains furent noyés ou tués en secret.

Jeanne même n’échappa pas au soupçon. Le vieux roi, outragé dans sa fierté, voulait aller jusqu’au bout de son déshonneur et n’épargnait personne. Il fit prendre aussi sa troisième bru pour la juger. Jeanne cria bien haut qu’elle était innocente, demanda à se justifier et obtint du roi qu’il fût fait à son égard une sévère enquête[2]. Mais il


    De la Royne (Marguerite), et de sa suer,
    Car el n’estait pas de leur cuer,
    N’au segré conseil apelée ;
    Si vit èle, mainte jornée,
    Maint semblant qui li desplaisait,
    Mès de ce pas parler n’osait,
    Por la honte de son lignage,
    Et por corrous et por damage
    Eschiver : car qui le tout taist
    De touz a pais, vers nul n’a plaist.
    Mès il n’est nul feu sanz fumée :
    Lors est la chose ainsi alée ;
    Le fet fut ataint et prouvé.

  1. Celz qui les dames visitant
    Aloient, de pitié ploroient,
    Ne point tenir ne s’en povoient
    A leur très-grant contricion
    Et très pure confession.

  2. Le Roy, par le conseil qu’il ut,
    Commanda que prise en féut
    De Poictiers ausint la confesse :
    Là ot-il grand duel et grand presse.
    Et quand la contesse ce vit,
    Hautement s’escria et dit :
    « Por Dieu, oëz-moi, sire roy,