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APPENDICE II.

visiter la vallée de Saint-Chéron. Un grand connaisseur, le fameux Cicéri, qui avait vu et créé tant de beaux paysages, avait fixé là sa tente et, pendant de longues années, habita une demeure qu’il décora de ses propres mains. À son exemple, des artistes, des littérateurs ont tour à tour échelonné leurs ermitages sur le versant. Oublions donc, pour son site, les souvenirs historiques ou archéologiques de Saint-Chéron. Aussi bien, nos lecteurs sont peut-être déjà fatigués de mouvances seigneuriales et de cadastres féodaux, et Bâville les attire, car l’ombre des Lamoignon, comme celle des buttes de Montcouronne, plane encore sur toute la vallée.

De l’église de Saint-Chéron, où Bourdaloue a prêché et fait le catéchisme aux enfants du village que mademoiselle de Lamoignon trouvait bien ignorants et faisait asseoir à ses côtés, il faut encore monter pour redescendre ensuite, avant d’arriver à Bâville qui est situé entre deux vallées, et dont la principale entrée regarde Saint-Maurice. Au milieu d’un parc immense aux ombrages séculaires, le grand château de grès et de brique du temps de Louis XIII, subsiste comme un royal monument de l’antique magistrature française, avec son corps principal flanqué de deux ailes en retour dont l’une est détruite, sa chapelle, ses vastes communs, ses larges et solitaires allées qui ont gardé les noms d’hôtes illustres, ses longues charmilles, ses hautes futaies et cet aspect austère et un peu triste que donne toujours aux lieux le souvenir des grandes familles éteintes et des gloires disparues.

C’était en effet une belle famille que cette maison des Lamoignon aux mœurs simples et dignes, où les vertus filiales se transmettaient avec les talents et les charges, où la charité s’exerçait aussi noblement que l’hospitalité. Il n’y avait point de château à Bâville du temps où Charles de Lamoignon y mourait en laissant vingt enfants à Charlotte de Besançon (1572). Là, grandissaient les vingt enfants, avec ceux que la fille aînée avait eus de Jean de Bullion. Devenu surintendant des finances et président à mortier, Claude de Bullion se rappelait gaiement qu’on le promenait à Bâville sur un âne avec son jeune oncle, Chrétien de Lamoignon, et qu’en les mettant chacun dans un panier, on plaçait un pain du côté de Lamoignon parce qu’il était plus léger. Ce n’était pas dans un château que Chrétien recevait sous Henri IV et sous Louis XIII tous ses illustres amis : « Bâville n’était qu’une petite chaumière, nous apprend son fils Guillaume. On n’y venait pas pour voir une belle maison ni un beau parc, car il n’y avait rien de plus petit ni de plus simple que l’un et l’autre. On n’avait que deux ou trois chambres à donner aux étrangers. Dans la plus grande on mettait quatre lits qui servaient à autant de personnes en ce temps-là que quatre grands appartements pourraient le faire présentement. Quelquefois les invités couchaient en carrosse ; tous se trouvaient bien reçus et partaient avec regrets. »