Page:Chronique d une ancienne ville royale Dourdan.djvu/326

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
310
CHAPITRE XXIII.

rencontrent sur la place. On tremble pour la journée ; mais la tranquillité règne, bien qu’il y ait en vente moitié moins de grains que l’année précédente à pareille époque. Trente carabiniers couchent cette nuit-là dans la ville. Des troupes permanentes, c’est le rêve et l’espoir des habitants de Dourdan, et l’autorité supérieure est sollicitée pour cela à grands cris. Le samedi 20 mai, la place est calme. Il y a 526 septiers sur le marché. Néanmoins, le blé renchérit de 30 à 40 sols. Le 29, dans la matinée, arrive enfin la garnison permanente, composée de six officiers, gentilshommes du plus haut rang, de deux fourriers, deux maréchaux des logis et trente et un dragons du régiment de Lorraine, détachés pour surveiller les marchés de Dourdan et de Saint-Arnoult, et les moulins de la vallée. On les caserne dans deux maisons vides, les officiers s’installent chez les principaux habitants, et Dourdan s’aperçoit que la sécurité s’achète par des dépenses et des ennuis.

Nous nous sommes un peu étendu sur ce récit parce qu’il nous semble bien caractériser une période dont l’étude offre un réel intérêt. Le marché de Dourdan ne connut plus, Dieu merci, d’aussi mauvais jours jusqu’en avril 1789, époque où la rébellion trouva dans la misère et dans la fermentation générale une nouvelle occasion de se produire[1]. Quoi qu’il en soit, une révolution immense était commencée. Pratiquement, il faut le dire, le gouvernement était encore effrayé de sa propre audace et vacillait dans l’application de ses principes, en face des malaises bien réels nés d’une transition évidemment douloureuse. C’est ainsi que les mutins et les pillards de Dourdan, sauf quelques condamnations de la cour prévôtale, furent peu inquiétés ou facilement admis à l’amnistie. C’est ainsi encore que des fermiers et des laboureurs ayant refusé au nom des édits de payer les droits de mesurage dans les greniers particuliers, se virent poursuivis à la requête du duc d’Orléans et condamnés, après un

  1. Nous citons la lettre que l’intendant écrivait alors au subdélégué de Dourdan, d’Orléans le 20 avril 1789 :

    « Je viens d’être informé, Monsieur, des mouvemens qu’il y a eu à Dourdan au marché de samedy dernier, et des inquiétudes très-graves que donnoient pour le marché de samedy prochain la pénurie de la denrée, la disposition des esprits et l’exemple de ce qui s’est passé à Montlhéry. Je viens d’écrire à Angerville, pour savoir s’il ne seroit pas possible de faire passer des grains à votre marché ; si les ressources manquent, je vous ferai expédier des farines d’Orléans. Le prévôt général se rendra samedy à Dourdan avec 24 hommes de sa troupe, et comme cette main-forte pourroit n’être pas suffisante et être exposée, comme à Montlhéry, à des dangers et même à des accidents, elle sera protégée par 50 hommes du régiment Colonel-Général-Dragons, qui arriveront à Dourdan vendredy. Ce qui s’est passé en 1775 doit nous rendre attentifs et précautionneux. Je suis avec attachement, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur. De Chevilly. »

    Nous croyons savoir que les dragons, campés à Liphard, n’eurent pas besoin de descendre dans la ville.

    On voit combien, même alors, en dépit de Turgot et de Louis XVI, la liberté était mal assise et avait besoin d’auxiliaires factices.