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CHAPITRE XXI.

amis, MM. de Corberon et de Fercourt, en Hollande, en Suède et en Laponie. L’auteur, comme il le dit, « s’était frotté à l’essieu du pôle, » y laissant une inscription latine restée célèbre ; il était revenu par la Pologne et par l’Allemagne et, tout en badinant, avait fort bien vu, fort bien retenu toutes choses et mêlé à de sceptiques railleries des observations justes et souvent scientifiques.

Dix années s’écoulèrent ainsi. Regnard avait pris pied dans le pays. Il était devenu « capitaine » du château de Dourdan et le roi venait de le pourvoir de la charge de « bailli d’épée » au siége royal de Dourdan, en remplacement du comte de l’Hospital. Regnard avait dépassé la cinquantaine : si son esprit ne s’alourdissait pas, sa corpulence augmentait, et quand on le voyait sortir dans sa voiture, par une des belles avenues de Grillon, on se rappelait le valet du Joueur, disant dans son rêve de fortune :

J’aurais un bon carrosse à ressorts bien liants ;
De ma rotondité j’emplirais le dedans…

Il est vrai que Regnard aimait passionnément la chasse et prenait souvent un violent exercice en courant la forêt. Mais, non moins violemment altéré, il criait au retour comme Crispin :

Bonne chère, grand feu ! que la cave enfoncée
Me fournisse, à pleins brocs, une liqueur aisée !

Si la philosophie est une science hygiénique, ce n’est pas positivement celle de la secte d’Épicure. Regnard a beau y vanter son régime :

Je me suis fait une façon de vie
A qui les souverains pourraient porter envie ;
Faire tout ce qu’on veut, vivre exempt de chagrin,
Ne se rien refuser, voilà tout mon système,
Et de mes jours ainsi j’attraperai la fin.

Ce fut la mort qui l’attrapa. Il finit subitement le 4 septembre 1709. Voltaire prétend qu’il mourut de chagrin : il paraît que ce fut d’une indigestion. En digne héritier de Molière, il croyait peu aux médecins. Un jour, vers la fin de la belle saison, se sentant incommodé après un copieux repas, il demanda, dit-on, à un de ses paysans quelles drogues il employait pour purger ses chevaux, et les envoyant chercher à Dourdan, il les avala. Saisi de douleurs aiguës, il serait mort suffoqué dans les bras de ses valets. Suivant une version réputée plus croyable, il prit une médecine après laquelle il eut l’imprudence d’aller à la chasse, et de boire au retour, tout en sueur, un grand verre d’eau à la glace. Nous sommes