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LA SEIGNEURERIE ET LES CENSIVES DE DOURDAN.

une petite nouvelle pour la gazette officielle : « Vous m’avez paru désirer que je vous fasse part de tout ce qui pourroit arriver à ma connoissance dans l’étendue de mon département. C’est pour me conformer à vos intentions que je crois devoir vous informer d’une anecdote particulière dont l’événement peut être heureux pour la veuve d’un de mes fermiers, chargée de quatre filles en âge d’être mariées. Vendredi, 28 juillet dernier (1775), le roy, Monsieur (Louis XVIII) et monsieur le comte d’Artois (Charles X), étant à chasser dans la paroisse de Sonchamp, survint un orage si considérable que le roy, les princes ses frères et leur suite furent mouillés jusqu’à la peau, et se réfugièrent dans une ferme nommée le Coin-du-Bois. Le roy ordonna qu’on fît bon feu dans toutes les chambres, ce qui fut exécuté avec tant de précipitation qu’on brûla jusqu’à quelques chevrons même que j’avais de réserve. Ensuite on demanda des serviettes à cette veuve, qu’elle présenta, comme on pense, avec joye. Le roy, les princes la firent retirer pour un instant, et après s’être changés, le roy, ainsi que monsieur le comte d’Artois, ayant mandé cette veuve, entrèrent avec bonté dans les plus grands détails sur sa situation, sur ce qu’elle payoit de taille et d’impositions, et, touchés du nombre des filles dont elle étoit chargée depuis treize ans que son mari étoit mort, ils lui dirent que s’il s’étoit présenté quelques partis pour elles ou s’en présentât, ils pourvoiroient volontiers à leur dot. M. le comte d’Artois demanda, entre autres, à l’une d’elles, avec gayeté (et ce n’est pas la plus désagréable des quatre), si elle avoit un amoureux, qu’elle eût à le lui déclarer avec franchise, que cette occasion en étoit une qui ne se trouveroit peut-être jamais ; et, l’ayant pressée de lui faire cette déclaration, cette fille, d’un air innocent et tremblant, lui répondit ingénuëment qu’il ne s’étoit présenté personne jusqu’à présent ; à quoi M. le comte d’Artois ayant répliqué qu’il falloit qu’elle fît en sorte d’en avoir sous peu de jours, elle répondit tout bonnement que marchandise offerte a le pied coupé ; réponse qui fit beaucoup rire le roy, qui ne put s’empêcher de dire que l’on trouvoit toujours de l’honnêteté et de la sagesse dans les villages, et fit donner à cette veuve deux louis d’or. M. le comte d’Artois en fit autant, et douze livres en outre pour ses filles. M. le comte d’Artois raconta cette histoire à la reine, qui s’informa si ces filles étoient jolies, si elles étoient brunes, rouges ou blondes ; lui ayant répondu qu’elles étoient brunes, la reine dit : « C’est de la bonne couleur : s’il n’étoit pas si tard, j’irois volontiers les voir, et si le roy contribuë à leur dot, je pourvoirai à leur trousseau. » Le roy envoya dès le surlendemain le sieur Blanchet, concierge du château royal de Saint-Hubert, et une autre personne, avec ordre de recueillir tous les éclaircissemens nécessaires, qu’on a pris par écrit, et l’on a insisté beaucoup sur le désir qu’on avoit qu’il se présentât quelque parti pour les filles. On ignore quelle pourra être la suite de cet événement. Si vous le désirez, Monsieur, je me ferai un plaisir de vous en rendre compte. »