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CHAP. II. — PADOUE

Pélagius. Tout comme Sadolet était ce rara avis du seizième siècle, c’est-à-dire un homme d’église qui croyait au christianisme et qui était un exemple de toutes les vertus et de toutes les grâces chrétiennes, Bembo était un représentant aussi illustre de ce que l’on rencontrait plus fréquemment alors, du pur paganisme. À ses yeux le christianisme était ce qu’avait dû être la théologie de la Grèce ou de Rome aux yeux d’Aristote et de Platon, de Cicéron et de Sénèque ; c’était un système composé de mots et de rites, utile à certains égards, mais ne se fondant nullement sur la vérité ou sur les faits, n’ayant aucun rapport avec la morale philosophique ou pratique et n’apportant aucune consolation à l’humanité. Bembo était le païen des païens, Epicuri de grege porcus.

Beau, affable, heureux, riche, savant, Bembo avait un bon caractère, un excellent estomac et partant une santé florissante et une humeur gaie (meus sana in corpore sano) ; l’affection qu’il avait pour sa maîtresse et pour les enfants qu’elle lui avait donnés faisait partie de son bonheur ; pendant soixante-dix-sept ans sa vie fut sans nuage. Solon lui-même lui aurait permis de se dire heureux. Il semble que la pensée d’une religion réelle ou vivante, ou de la vie future n’a jamais traversé son esprit. Jusqu’en 1539, année où Paul III le fit cardinal (il avait alors soixante-neuf ans), on ne trouve pas dans ses écrits la plus légère trace d’études théologiques. Mais la Réforme obligeait les hommes de lettres qu’on élevait à la dignité de la pourpre à « passer pour vertueux qu’ils le fussent ou non », et le rang de prince de l’église força Bembo à se conformer aux usages. Il mit de côté la littérature profane et se voua à l’étude des saintes Écritures et des Pères de l’église. Mais tant qu’il resta à Padoue, il fut toujours païen.

Dans sa jeunesse il avait passé quelques années au milieu de la société la plus cultivée de l’Italie, dans l’entourage de sa parente Catherine Cornaro, reine de Chypre ; pendant les vingt années qui suivirent l’abdication qu’on lui avait imposée après la mort du roi, son mari, elle tint à Asola une cour qui