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CHAP. XIV. — UN HOMICIDE ET SES CONSEQUENCES

« J’étais alors absorbé par des études littéraires, j’y consacrai tout mon temps, tous mes efforts, dans le dessein de produire une œuvre qui, je l’espérais, serait immortelle et serait une gloire pour la France...

«C’était dans cette ville célèbre (Lyon) que je passai ma vie, lorsque cette attaque néfaste m’obligea à riposter et à tuer un homme involontairement pour me défendre de ses coups. Aussitôt une bande armée de vauriens me poursuivit afin de me jeter en prison, malgré mon innocence. Mais il n'est pas difficile d’éviter la fureur d’une foule lâche et d’échapper à ses pièges. Protégé par quelques amis, je quittai la ville avant l’aube. Je dirigeai d’abord mes pas vers l’Auvergne, malgré la forte gelée et les vents violents de la saison. Je vis bientôt les frênes de la montagne couverts de neige. A travers les vallons (spectacle admirable) un torrent fougueux se précipite sonore comme la tempête, et, frappant le sol avec le bruit de la grêle qui tombe, court ensuite inonder les campagnes.

« Comme j’errais à travers les forêts d’Auvergne, l’Allier aux flots tumultueux s’offrit à ma vue. Je résolus d’abréger mon voyage en descendant ce courant. Je m’embarquai ; le bateau secondé par les rames volait plus rapide que le vent. Les pays et les villes passaient devant moi ; la barque agile laissait un long sillage derrière elle. Mais la rigueur de l’hiver ralentit notre course ; la rivière est gelée de toute sa profondeur, les glaçons arrêtent les rames, et notre embarcation fortement ballottée reçoit plusieurs chocs et demeure immobile. Telle la flèche d’un Parthe lancée par un arc bien bandé ; elle tend tout d’abord les airs avec une grande force, mais, si elle entre dans le feuillage d’un taillis, elle épuise son élan parmi les branches et tombe sur le sol ; notre bateau, qui avait été aussi rapide que les vagues, fut ainsi arrêté dans course. Enfin le nocher, cédant à mes instances, se fraye un passage. La glace cède aux coups répétés des rames, et soudain nous glissons dans la Loire au large courant et péné-