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ÉTIENNE DOLET

a eu affinité d’idées entre lui et Rabelais. Mais voici ce qu’un biographe de Rabelais des mieux informés, des plus intelligents et des plus spirituels, M. Eugène Noël, nous dit au sujet des rapports de Dolet et de Rabelais :

« De Montpellier il alla donc à Lyon ; dans cette ville, avec Dolet et quelques autres, les conversations pantagruéliques reprirent leur cours mieux que jamais. Dolet n’était pas seulement un habile imprimeur, c’était un philosophe, un poète, un des esprits les plus élevés et les plus nobles du siècle. On a de lui plus de vingt ouvrages latins et français en prose et en vers. Il traduisit Cicéron et Platon : l’un des premiers, il mit l’Évangile en langue vulgaire. Il conseilla donc à Rabelais de ne s’en plus tenir à des traductions et commentaires, mais de lancer dans la mêlée intellectuelle un livre véritablement sien. Il voulait qu’il résumât la philosophie du siècle, qu’il donnât au monde ébranlé un mot de consolation nouvelle.

« — Oui, disait Rabelais, mais un livre vraiment humain se doit adresser à tous. Les temps sont venus où la philosophie doit enfin sortir de l’école et rayonner comme le soleil sur l’univers entier. Nous devons, à cette heure, tenir suspendus fraternellement aux mamelles de vérité les ignorants et les doctes. Je voudrais, pour ce qui est de moi, si je faisais un livre de philosophie, qu’il pût amuser, consoler, instruire mes braves vignerons de La Devinière et les buveurs de Chinon, aussi bien que les plus savants ; qu’il fût le piot universel ; que princes, rois, empereurs et pauvres gens y vinssent d’eux-mêmes boire ensemble gaîment. La vérité — d’accès assez difficile et scabreux — doit être, ni plus ni moins que dans l’Évangile de Dieu, présentée sous forme vivante si humaine et débonnaire, qu’enfin, acceptée de tous, elle réveille l’âme de tous à la pensée commune. Quel moyen y a-t-il, sinon en s’appuyant sur l’éternelle conscience, de conter aux bonnes gens les histoires qu’ils aiment qu’on leur conte, des histoires qu’eux-mêmes ils ont faites ? Par exemple, ces chroniques de géants, tant et tant imprimées en notre âge, depuis la décou-